La Lettre de H.L.M.

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La lettre de H.L.M. juin 2023

 

La longueur inhabituelle de notre "chronique" de mars dernier  nous permettra sans le moindre complexe d’être beaucoup plus bref cette fois-ci… Ce qu’on y aurait décrit et qui concerne en particulier le ministère presbytéral se trouve bien présenté dans la partie de ce bulletin sous la rubrique Dans quelle Église ? : en particulier dans les pages concernant les conclusions du Chemin synodal allemand et dans celles de Joseph Pirson intitulées L’Église en débat, consacrées d’une part à la lettre de Mgr Wintzer sur les Abus sexuels dans l’Église catholique, et d’autre part à la brochure des amis liégeois Rendons l’Église au Peuple de Dieu. La polémique suscitée par cette dernière et renforcée par l’attitude de l’évêque de Liège est si malvenue qu’on se gardera bien de jeter de l‘huile sur le feu. Mais elle permet de comprendre que les auteurs aient éprouvé le besoin de publier un florilège de Réactions  qui souligne bien la nécessité du débat qu’avait d’ailleurs permis l’ouverture du processus synodal : le soutien de beaucoup de croyants à leur réflexion et leur désir de dialogue et de changement nous semblent clairs…
Pierre COLLET

 

La lettre de H.L.M. mars 2023

 

Dans cette première "chronique" de l’année 2023, nous aimerions faire le point avec vous des sujets d’informations et des réflexions qui ont circulé ces derniers mois dans Hors-les-Murs et plus largement autour de nous : la lutte pour abolir l’obligation du célibat des prêtres qui est un objet propre de l’association, l’avalanche de témoignages d’abus commis par le clergé et qui, s’ils ne sont pas que sexuels, ont quand même toujours un lien avec la sacralisation très "religieuse" du pouvoir, la prise de conscience enfin par les prêtres eux-mêmes voire quelques évêques de l’impasse du cléricalisme "systémique" de l’Église : d’aucuns reconnaissent même que leur silence s’apparente à une responsabilité personnelle dans le maintien de cet état de choses. Et nous n’oublions pas le blocage tout à fait intolérable vis-à-vis de l’ordination des femmes et qui fait l’objet d’un article séparé ci-dessous.

Le célibat obligatoire

Même si elle est de plus en plus perçue comme "relative", la question reste centrale pour plusieurs groupes de prêtres mariés mais aussi pour d’autres mouvements qui militent pour des réformes dans l’Église.

Nos amis du groupe espagnol MOCEOP viennent de tenter de relancer le dialogue avec la hiérarchie : ils ont pu rencontrer le cardinal Omella, président de leur Conférence Épiscopale, et cette rencontre a été si cordiale qu’elle s’est clôturée par une demande d’être reçu par le pape François… La lettre des espagnols au pape demande de « reprendre un dialogue positif sur le travail et la contribution humaine et ecclésiale des prêtres mariés ».[1]  D’autres groupes se joignent à eux dans la volonté d’abolir cette obligation, comme le groupe allemand. Ont-ils une chance d’être entendus après le flop retentissant du Synode sur l’Amazonie… ?

Les Italiens ne semblent pas prêts non plus à cesser ce combat : Armando Poggi, prêtre marié de la région de Naples, vient de publier un livre-interview[2]  où il raconte à quel point le clergé napolitain était novateur dans ses réponses à l’enquête menée en 1970 par la Conférence épiscopale italienne : « après plus de 50 ans, les contenus alors élaborés par les prêtres de Naples résonnent dans le débat qui a été réveillé ces dernières années, notamment après le dernier synode des évêques et l’exhortation post-synodale du pape François Querida Amazonia. Bref, les choix que l’Église sera appelée à faire dans un proche avenir trouvent leurs racines dans les nombreuses tentatives généreuses, souvent étouffées dans l’œuf, d’une Église qui était vivante en ces années post-conciliaires. »

On pourrait trouver bien d’autres exemples qui montrent que cette question reste actuelle, comme par exemple au Chemin synodal de nos voisins allemands. Et nombre de commentateurs n’hésitent plus à relier à cette problématique la crise des abus, sexuels et autres, ce qu’on n’osait pas affirmer il y a 10 ans. Mais il faut se rendre à l’évidence : ces cinquante longues années de contestations et de luttes depuis Sacerdotalis Caelibatus (1967) et le fameux Synode de 1971 n’ont visiblement débouché sur rien, et semblent même avoir eu l’effet inverse : on s’évertue à trouver toujours plus de justifications théologiques pour rappeler le caractère sacré du célibat.[3]

Au point que René Poujol [4], observateur éclairé des débats internes à l’église catholique, en est arrivé au constat qu’ordonner des hommes mariés serait une solution déjà dépassée. C’est ce que beaucoup d’entre nous ressentent aussi d’ailleurs. 

Finissons ce chapitre par la notation pessimiste de Patrick Royannais [5] , prêtre français très engagé sur le terrain, en décembre dernier :

« Pourquoi les prêtres ne sont pas mariés ?
Certains continuent à justifier le célibat ecclésiastique par la soi-disant disponibilité qu'auraient les célibataires. Si au moins ils avaient des raisons théologiques… Ma réponse : parce que si l’on ouvrait la possibilité qu’ils soient mariés, la majorité n’en voudrait pas.
1. La vie de vieux garçon est bien plus confortable que celle de famille. Loin de les rendre plus disponibles, le célibat leur permet de l’être moins, avec les meilleures raisons. Hypocrisie ! La vie de vieux garçon permet de cultiver tranquillement l’égoïsme, la vie de famille confronte et dénonce l’égoïsme. La première, sous prétexte de don n’est jamais disponible, la seconde oblige à l’être. Quand on a un gamin malade, ou heureux, ou abattu, on ne se demande pas si on a du taff ou non, on y va.
2. Le mariage, dans l’Église, c’est, pour un homme avec une femme. Or plus de la moitié des prêtres est homo. De sorte que vouloir se marier obligerait à faire son coming-out, à accepter le mariage homo, enfin et surtout, à s’accepter comme on est. Mais les prêtres ne veulent pas sortir du mensonge.
Hypocrisie et mensonge. On ne s’étonnera pas que l’institution ecclésiale aille si mal dans ces conditions. »

Les abus de pouvoir et l’emprise "spirituelle"

Après les séismes provoqués par la révélation d’abus sexuels commis par des membres du clergé sur des mineurs, c’est d’autres victimes adultes qui se sont mises à parler. En particulier depuis les révélations autour de Jean Vanier et des dominicains Thomas et Marie-Dominique Philippe, les témoignages ne cessent d’affluer. La situation est trop grave et trop fréquente pour être ignorée. Les commissions indépendantes mandatées par L’Arche et par les dominicains pour faire la lumière sur les abus sexuels et spirituels ont publié leurs rapports le 30 janvier dernier.[6]  Leurs recherches révèlent la sidérante persistance, pendant des décennies, d’un noyau sectaire aux croyances et pratiques mystico-érotiques au cœur de l’Église. On attend le troisième et dernier rapport, celui de la Communauté Saint-Jean sur son fondateur Marie-Dominique Philippe.

Ce n’est évidemment pas pour le plaisir de la critique et encore moins par esprit de malveillance que nous revenons sur ces scandales qui ont sans doute fait plus de tort à l’annonce de l’évangile et continueront d’en faire si elles ne suscitent pas des réformes radicales. Et bien au-delà encore de la gestion de ces prêtres abuseurs, nous savons bien qu’il s’agit globalement de l’enseignement et de l’attitude de l’Église concernant la sexualité. Comme écrivait récemment un commentateur : « Trichez avec le sexe, il se vengera ! »[7]

Saisissons cette occasion pour signaler ce dernier témoignage [8] très bouleversant d’une jeune religieuse qui en dit long sur les pratiques encore très actuelles de certaines « communautés nouvelles », comme on les appelle. La dijonnaise Sabine Tainturier y relate son passé de religieuse expulsée de sa communauté des sœurs des fraternités apostoliques de Jérusalem à Tarbes : elle témoigne sur les dérives dont elle affirme avoir été victime. « Je dénonce un système basé sur l’emprise, la dépersonnalisation des membres, que l’on peut nommer abus spirituel… Et le fait que les alertes soient étouffées par les responsables qui sont en charge d’avoir pourtant une vigilance sur cette communauté dont je faisais partie. » Des articles dans la presse ces dernières semaines, dont les réponses de l’évêque local, prouvent sans conteste que seule la médiatisation permettra un peu de clarté et de vérité… « Cet ouvrage offre vraiment le récit poignant d’une femme passée de l’emprise à la liberté, au prix d’un combat où les ténèbres ne l’ont pas emporté. »

La fatalité d’un "système" ? Focus sur l’identité du prêtre…

 

Nous avions cru qu’un premier pas de reconnaissance du caractère "systémique" de la crise actuelle avait été franchi par le pape François lui-même avec le tour-nant que constituait sa Lettre au Peuple de Dieu [9] du 20 août 2018 ciblant le cléricalisme. Il faut lui savoir gré de cette initiative qui a permis une réflexion et une mobilisation que nous n’aurions même pas pu rêver il y a dix ans.

Mais pouvait-il se contenter d’en rester à ce beau "principe" sans voir que le nœud du cléricalisme n’est pas qu’un mode de "fonctionnement" mais une affaire de personnes, en l’occurrence la perception de l’identité des prêtres et des évêques, par les fidèles et aussi par eux-mêmes… ? Il conviendrait de lire à ce sujet l’analyse très suggestive que vient de publier Michel Bouvard [10] qui désigne avec pertinence tant de domaines touchés par ce manque de courage, depuis la conception et la pratique de l’eucharistie jusqu’aux affirmations totalement désincarnées et culpabilisantes sur la sexualité.

Mais après tout, nous ne sommes pas dans la tête du pape François… Ne pourrait-on imaginer, après sa position lors du Synode sur l’Amazonie, qu’il partage au moins un tout petit peu les réserves de tous ceux qui pensent que la solution des viri probati mariés serait déjà dépassée, à l’instar de René Poujol déjà cité plus haut ? Pour la simple raison qu’elle ne ferait que perpétuer le système clérical à "deux castes"… ?
Cela dit, devrait-on militer tout simplement pour une église "sans prêtres", qui fonctionnerait sur le modèle de nos sociétés civiles "démocratiques" avec les pouvoirs et les décisions venant du peuple comme le nom l’indique ? Vaste question que nous ne résoudrons évidemment pas dans ce cadre… Mais peut-être sera-t-on intéressé par l’article que vient de diffuser un théologien allemand bien connu.

À la suite du colloque virtuel de Wir Sind Kirche Autriche [11], Herman Häring a tenté de synthétiser ses idées sur la question dans un texte qu’il intitule La prêtrise, creuset de l’attente chrétienne du salut.[12] C’est une vision théologique qui l’intéresse ici, pas seulement sociologique ni même pastorale. S’attardant à l’évolution historique du prêtre et de sa "fonction", l’auteur ne pointe pas seulement la situation des deux ou trois premiers siècles mais attire l’attention d’une part sur les ratages qu’a constitués la (mauvaise) réponse catholique à la Réforme protestante, d’autre part sur l’ambiguïté inacceptable laissée par Vatican II concernant l’éventuelle articulation entre le sacerdoce commun du Peuple de Dieu et le sacerdoce sacré des prêtres. C’était aussi l’avis d’Henri Denis qui y était expert justement pour cette question. Trois pages éclairantes qui pourraient être un jalon pour notre réflexion…

"Rendons l'Église au Peuple de Dieu"

C’est une conviction semblable qui a conduit un groupe de chrétiens liégeois à publier sept réflexions sous le titre Rendons l’Église au Peuple de Dieu [13]. Engagés dans diverses missions d’Église et en particulier dans la pastorale de la santé, c’est à partir de l’administration des sacrements et du sens de ceux-ci qu’ils questionnent le fait que seuls des prêtres ordonnés sont autorisés à les administrer. Faut-il vraiment qu’ils soient les seuls à pouvoir le faire ? Leur démarche est sensée, pacifique, bien informée, et elle ne méritait certainement pas les réactions violentes de ces jours-ci ni le lancement d’une pétition par des traditionnalistes au secours de "leurs prêtres". Mais la surprise a été de voir l’évêque suivre la même voie et reprocher aux auteurs leur légèreté : « Les questions de départ posées par les auteurs sont très pertinentes, mais les réponses sont mal instruites. » Et de renvoyer… à Vatican II ! "Mal instruites" parce que partant de la vie concrète et pas de la doctrine ? On a (souvent) connu Jean-Pierre Delville mieux inspiré… 

Rencontrer le mal-être des évêques et des prêtres

Ce n’est pas la première fois que nous abordons la question du malaise des prêtres.[14] C’est l’objet d’un post publié il y a quelques semaines par Patrick Royannais.[15] Il réagit à une réflexion d’un évêque publiée par La Vie sur la difficulté du "métier d’évêque" [16]. C’est qu’en effet « plusieurs, en France comme dans d’autres pays, démissionnent, prennent des mois sabbatiques, déclarent un burn-out ». Le diagnostic du théologien-anthropologue est aussi radical que ce qu’on a déjà relevé ci-dessus et dans d’autres articles de nos bulletins précédents : « le mal-être des clercs est un symptôme non de difficultés personnelles mais de dysfonctionnements systémiques, structurels, au même titre, même si c’est différemment, que les délits et crimes sexuels… »

Le problème n’est donc pas inhérent au "gouvernement" – qu’est-ce qu’un bon gouvernement ? – mais au fait que « les ministères ont perdu leur sens dans les circonstances actuelles. La théologie des ministères est d’ailleurs indigente, schizophrène, ne sachant opter entre deux modèles qui se révèlent non conciliables contrairement à ce qu’on a voulu croire ou faire croire à Vatican II, pouvoir sacramentel et service des communautés. Malgré tout ce que nous faisons – et beaucoup se démènent, – nous voyons bien que cela ne marche pas. Ce n’est pas seulement le recul numérique qui est en cause que la possibilité même de communautés. Nous n’arrivons pas à renouveler les équipes, les conseils. Nous voulons – enfin ! – une Église synodale mais il n’y a plus personne pour entrer dans un tel fonctionnement dans nombre de paroisses. L’individualisme y tient sans doute une part de responsabilité mais pas seulement. […] »

L’anthropologue aurait-il une piste pour sortir de l’impasse cléricale ? Concernant le "métier d’évêque", il faudrait que ces "chefs" acceptent de se faire aider – c’est un minimum – mais aussi qu’ils renoncent à la concentration de tous les pouvoirs : « on s’obstine à refuser que l’Église soit une démocratie sous prétexte que le vote n’est pas la meilleure manière de décider. De fait vérité et majorité ne font pas toujours bon ménage. Mais la démocratie ne se définit pas tant par le vote que par la séparation des pouvoirs. […] »

Il y a un corollaire à ce préalable et qui vise le caractère prétendument "absolu" de l’engagement dans le ministère. La "recette" proposée semble couler de source : « La tâche de tout ministre, ordonné ou non, devrait obligatoirement comporter une partie caritative hebdomadaire en dehors des postes de responsabilité (soutien scolaire, alphabétisation, maraude auprès des sans-abris, soutien des migrants, des détenus, etc.). Non que la charité ne serait pas à vivre d’abord dans l’exercice des ministères, mais que le bénévolat au service de telle ou telle catégorie de plus pauvres apprend à aller voir ailleurs si l’on est effectivement engagé dans la charité, et que travailler dans une équipe, sans être le chef, apprend à être plus humble dans son gouvernement. »

Conclusion. « Si le lien est établi de la crise du recrutement presbytéral et du moral des prêtres et des évêques au système religieux, il faut penser que ce qui est à réformer c’est notre compréhension de ce qu’est l’Évangile. Loin de cela, nombre d’entre nous sont à la remorque des évangélistes. C’est tout le contraire de ce que nous avons à faire. »
Bref, il s’agit à la fois de sauver la santé mentale des prêtres (et des évêques…) et de garantir des fonctionnements de réelle coresponsabilité. Cela ne vous semble-t-il pas très "raisonnable"… ?

Notes

[1] On trouvera tout un dossier sur le sujet dans le dernier numéro 171 (décembre 2022, p. 5-14) de leur revue Tiempo de hablar tiempo de actuar : www.moceop.net
[2] Pianticelle divelte ? Il vento conciliare nei Sinodi delle Chiese particolari, Ed. la Valle del Tempo, 2022, 128 pages. Littéralement : Semis arrachés. Voir la présentation sur http://www.pretresmaries.eu/fr/Lectures.html#702
[3] Relire la belle analyse de Couples et Familles qui date de 2010 déjà : https://couplesfamilles.be/index.php?option=com_content&view=article&id=...
[4] Ordonner des hommes mariés : une solution déjà dépassée ?  https://www.renepoujol.fr/ordonner-des-hommes-maries-une-solution-deja-d...
[5] http://royannais.blogspot.com/2022/12/pourquoi-les-pretres-ne-se-marient...
[6] Le livre des dominicains est publié aux éditions du Cerf : Tangi CAVALIN, L’affaire. Les Dominicains face au scandale des frères Philippe, 2023, 766 pages. Le rapport de l’Arche et une synthèse (900 pages !) sont accessibles sur le site de la Communauté : https://www.larche.org/fr/larche/actus/commission-etude-2023/ ;
La Croix le résume fort bien : https://www.la-croix.com/Religion/Jean-Vanier-freres-Philippe-Ce-dit-rap... Sœur Véronique MARGRON dit toute sa satisfaction face à ce travail dans un communiqué de la CORREF : https://www.viereligieuse.fr/communique-de-presse-de-la-corref/
[7] Marcel BERNOS : http://www.pretresmaries.eu/pdf/fr/692-Bernos.GetS.pdf
[8]  Sabine TAINTURIER, Sois pieuse et tais-toi ! Éditions L’Harmatan 2022, 260 p.
[9] https://www.vatican.va/content/francesco/fr/letters/2018/documents/papa-...
[10] https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/12/30/le-clericalisme-sera-t-i...
[11] Nous avons publié ce Communiqué dans notre bulletin de septembre 2022 p. 59. Il est en ligne sur http://www.pretresmaries.eu/fr/Actualites.html#685
[12] http://www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#701
[13] Liège, 2023, 5 € + port (3 €). Á demander à justice.633@hotmail.com
[14] É. CUCUZZA, Le malaise des prêtres, dans notre bulletin de juin 2022. Voir http://www.pretresmaries.eu/en/Publications.html#684
[15] http://royannais.blogspot.com/2022/12/mal-etre-des-ecclesiastiques.html. Patrick Royannais est prêtre du diocèse de Lyon, docteur en théologie et en anthropologie, engagé dans des secteurs de formation et accompagnateur d’immigrants.
[16] Hervé GIRAUD, Comment être évêque aujourd’hui ? L’être autrement ? in La Vie du 16 décembre 2022 : https://miniurl.be/r-4ehl

Pierre COLLET

 

 

La lettre de H.L.M. décembre 2022

 

C’est une fois de plus à Danièle Hervieu-Léger que nous emprunterons le prétexte de cette chronique :

« — Dans ce contexte, quelles sont les conditions, pour l’Église universelle, d’une réforme véritable ? Quels écueils faudra-t-il prioritairement éviter ?
— Danièle Hervieu-Léger : Je me garderai bien, comme sociologue, de dessiner une perspective pour l’Église du futur ! Mais j’ai une hypothèse : c’est que le catholicisme est malade du système romain, mis en place entre le Concile de Trente et le XIXe siècle pour faire face aux assauts de la Réforme puis de la modernité politique. Toute réforme passe aujourd’hui par la déconstruction de ce système, tout entier fondé sur la figure d’autorité sacralisée du prêtre. Reste à savoir jusqu’à quel point une telle déconstruction peut être conduite sans compromettre l’édifice entier. » [1]

Tous les prêtres mariés ont compris depuis longtemps qu’ils n’étaient pas plus "sacrés" que d’autres, sauf quelques rares exceptions, et nos épouses et nos enfants encore mieux que nous sans doute ! Comment tolérer qu’après les scandales que nous connaissons depuis trente-cinq ans à propos des déviances sexuelles et des abus de pouvoir d’un nombre important de prêtres partout dans le monde, la prise de conscience n’ait produit aucun effet "structurel" ?

Des commentateurs ont souligné qu’après les victimes "directes" de tous ces abus, d’autres victimes sont totalement oubliées : ce sont tous les prêtres eux-mêmes du simple fait de leur appartenance à ce "corps social"… Serait-ce une cause supplémentaire du malaise des prêtres que nous avons évoqué dans les derniers numéros du bulletin ? Deux ans après l’Étude sur la santé des prêtres et un an après le Rapport de la CIASE sur les abus sexuels, une enquête de La Croix publiée le 13 octobre 2022 révèle quelques raisons de ce malaise. Un évêque s’est senti particulièrement touché par cette situation : Mgr Daucourt, évêque émérite de Nanterre, consacre un petit livre à ces "prêtres en morceaux" [2] et tente d’en analyser les ressorts cachés qui vont de la surcharge de travail à l’inadéquation "entre l’offre et la demande" et à la remise en cause de la figure du prêtre dans une société déchristianisée. Cette non-reconnaissance peut même prendre un tour dramatique si elle vient de surcroît des confrères, voire des supérieurs… Il y a trois ans, l’évêque a décidé de joindre les actes à la parole en ouvrant aux prêtres et religieux en difficulté une maison d’accueil, le Petit Béthanie, qu’il anime avec un couple de jeunes retraités. Chapeau !

Ni l’enquête de La Croix ni le livre ne s’attardent guère sur la question du célibat, se contentant de remarquer que « le ministère s’exerçant dans un registre très affectif, il s’agit de trouver la bonne distance dans les relations à cause d’une sur-implication émotive… » Mais pourquoi ces circonvolutions qui évitent d’appeler les choses par leur nom… ? Nous sommes convaincus que cette mise en veilleuse – ou pire – de la dimension affective et sexuelle est pour beaucoup dans ce "malaise"…

Nous nous contenterons d’en citer pour preuve trois publications récentes. Une enquête américaine sur la sexualité des prêtres vient d’être publiée aux USA sous le titre Beyond ‘Bad Apples’, Au-delà des pommes pourries [3]. Il s’agit d’un rapport publié par les chercheurs d’une université jésuite et basé sur des entretiens avec quelque 300 prêtres, religieux et laïcs : projetant d’examiner les "pourquoi" et les "comment" qui permettent aux abus sexuels perpétrés par le clergé de perdurer dans l’Église catholique, il met en lumière le manque d’aptitude et l’incompétence des prêtres sur "les questions de sexe, de genre et de pouvoir, les trois volets de l’approche". Pour en tirer cinq conclusions dont nous retiendrons celle-ci, pour l’exemple : « Le manque de confrontation avec les rôles de genre […] débouche sur une forme de masculinité du cléricalisme qui est associée à la violence et à la domination [..] et donc à des styles de leadership autoritaires et chaotiques. » Une étude à lire et qui mérite d’être diffusée !

La chaine ARTE a diffusé le 13 septembre dernier un reportage intitulé Célibat des prêtres, le calvaire de l’Église  qui donne la parole à des ex-prêtres de neuf pays différents qui témoignent de situations très diverses. [4]    

Et enfin l’hebdomadaire Moustique [5] du 6 novembre  publie un bon article de Louise Tessier sur Le faux célibat des prêtres, pointant donc en particulier l’hypocrisie de cette règlementation. À l’image des personnes interviewées comme Myriam Tonus et Charles Delhez, c’est posé, serein et sans aucun jugement sur les comportements. Merci !

[1] https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/10/25/daniele-hervieu-leger-le...

[2] Gérard DAUCOURT, Prêtres en morceaux, Ed. Cerf 2022, 80 pages.

[3]  https://www.scu.edu/ic/programs/bannan-forum/media--publications/beyond-... : le rapport y est accessible dans sa totalité.

[4] Une réalisation remarquable. On peut toujours louer ou acheter le film sur https://boutique.arte.tv/detail/celibat-des-pretres-le-calvaire-de-legli

[5] Accessible en ligne :  https://www.moustique.be/actu/monde/2022/11/06/le-faux-celibat-des-prete...

Pierre COLLET

 

 

La lettre de H.L.M. septembre 2022

 

Plusieurs lecteurs nous ont remerciés d’avoir publié dans notre numéro précédent un résumé de l’analyse du psychiatre italien Rafaele Iavazzo sur le malaise des prêtres. Une fois de plus, c’est l’impact psychologique de l’obliga-tion du célibat qui était relevé ainsi que le manque d’attention de la hiérarchie à ce phénomène, voire l’omerta entretenue sur le sujet. On était loin de s’imaginer qu’un mois plus tard, le suicide du prêtre français François de Foucauld allait être un des sujets polémiques les plus médiatisés de ces dernières semaines. Son nom de famille, son âge (50 ans), son diocèse (Versailles), sa personnalité forte et clivante – son entêtement selon certains – n’y sont sans doute pas pour rien.

Les leçons du suicide d’un prêtre

 

Un suicide est toujours terrible, notamment pour la part de solitude profonde qu’il suggère ; celui d’un prêtre est accablant de la part de quelqu’un censé être un soutien et un recours pour les autres. Les médias et les réseaux sociaux affirment immédiatement qu’il faut préciser le contexte de ce drame : le conflit avec une partie de ses paroissiens et avec son évêque l’avait écarté de son ministère depuis plusieurs mois, sans qu’un audit externe ait permis le moindre éclaircissement ni une reprise du dialogue. La thématique des "abus de pouvoir" était devenue le leitmotiv du discours du prêtre jusqu’à y consacrer une tribune dans La Croix du 2 décembre dernier [1] et faire la couverture du Pèlerin pour illustrer "le droit des prêtres au bonheur"… À le lire, on saisit d’emblée le débat de conscience qui devait le travailler, la communauté qui lui était confiée ne rencontrant pas ses convictions personnelles ni son projet pastoral. Un de ses amis, René Poujol, décrit la situation avec franchise, empathie et pondération, alors que la presse catholique choisissait plutôt la discrétion. Mais il s’interroge aussi sur le succès de ses chroniques : « ce qui m’a le plus frappé est la spontanéité du témoignage de plusieurs prêtres, se disant eux-mêmes en souffrance. […] Lorsque des prêtres en viennent, à la faveur d’un tel drame, à choisir pour interlocuteur un simple blogueur catholique […] parce que le monde ecclésiastique où ils baignent se montre sourd, on peut dire qu’il y a problème. » [2]

Dans la foulée de cette analyse, renvoyons à deux commentaires qui nous paraissent très éclairants, celui de Christine Fontaine [3] de Dieu Maintenant et celui de Blandine Ayoub de Saint-Merry-Hors-les-Murs [4]. Toutes les deux ont vécu la collaboration heureuse entre prêtres et laïcs mais aussi le conflit et l’exclusion le jour où un prêtre ou un évêque n’a plus accepté de "partager le pouvoir"… À propos d’un événement précis d’ailleurs, le verdict de C. Fontaine est implacable : « On ne peut pas mieux décrire une conception de l’Église centrée sur le prêtre et la sacralisation de son pouvoir. Dans le cas de F., quand son propre pouvoir de leader "charismatique" est contesté (à tort sûrement quant aux faits précis reprochés mais à raison quant à sa non-écoute de ceux qui contestent cette manière d’être), il ne le supporte pas. À mon avis, on peut parler de "pathologie" dans le cas de ce prêtre. […] Ce système est profondément déviant, selon moi. Il est même suicidaire pour l’Église. Le suicide de ce prêtre en est le signe dramatique. »

Autrement dit, il devient chaque jour plus urgent de clarifier le statut et le rôle des prêtres comme on le réclame depuis des décennies et cela bien au-delà de la question de l’obligation du célibat ou des abus sexuels. Invités par Martha Heizer d’Autriche, des membres du Mouvement Nous-Sommes-Église ont tenu le 11 juin dernier une réunion zoom sur "la prêtrise" en se focalisant sur la différence entre "ordination" et "consécration", ce dernier terme impliquant un caractère "sacré" si facile à contester… Mais ces catégories sont d’autant plus difficiles à manier que les mots n’ont pas forcément le même sens dans nos diverses langues ou cultures : le latin permettait de lisser bien des aspérités… N’empêche : le groupe est parvenu à un communiqué qu’on trouvera ci-dessous.

Nous avons aussi choisi de vous partager l’analyse d’une philosophe italienne sur "cléricalisme versus vulnérabilité" [6] : c’était opportun

Pierre COLLET

[1] https://www.la-croix.com/Debats/Abus-contrainte-silence-lEglise-passe-pl...

[2] https://www.renepoujol.fr/suicide-de-versailles-en-attente-dune-parole-v...

[3] http://www.dieumaintenant.com/apreslesuicidedunpretre.html

[4] https://saintmerry-hors-les-murs.com/2022/07/22/suicide/

[5] http://www.pretresmaries.eu/it/Attualita.html#685

[6] http://www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#683

 

 

La lettre de H.L.M. juin 2022

 

La question du célibat imposé aux prêtres catholiques et l’interdiction qui leur est faite de se marier étant en quelque sorte le "fonds de commerce" de notre association, on ne s’éton-nera pas que la quasi-totalité de notre espace dans la revue soit consacrée à cette question qui semble connaître aujourd’hui un regain d’intérêt. C’est ce qui nous est apparu à la lecture d’une longue analyse d’un psychiatre italien sur "le malaise des prêtres" et à l’occasion du débat soulevé par un texte du "Chemin synodal" allemand : d’où les deux articles qui suivent. Mais on ne dira jamais assez qu’au-delà de toutes les théories, des idéologies ou des théologies, ce qui importe c’est les personnes et ce qu’elles vivent. Nous commencerons donc par évoquer des témoignages publiés par des prêtres mariés, plus souvent encore par ou avec leurs épouses.

 

Amour et foi

 

J’avoue que le titre de ce livre [1] m’a fait sursauter : à cause de la précision "marié religieusement"… ? Mais on comprend très vite la justesse du propos, pour deux raisons sans doute : Florence et Roger Chaveneau se sont mariés en 1967. Né en 1910, il avait derrière lui 28 années de ministère : on com-mençait tout juste à accorder les "dispenses" sous le nom de "réductions à l’état laïc"… L’autre raison est tout en profondeur : la foi et l’amour sont tellement indissociables dans l’expérience de ce prêtre et dans ses convictions qu’il était impensable pour lui, pour tous les deux même, de poursuivre leur chemin hors du cadre de l’Église.

C’est donc l’histoire d’un prêtre, cultivé et généreux, mais racontée à travers ses écrits : ses lettres, ses cours, ses homélies, ses méditations. Trente ans après son décès, son épouse Florence a sélectionné 200 pages de textes en n’intervenant que pour assurer leur compréhension par quelques brèves mises en situation ou des liens indispensables.

« Tous ses textes parlent d’un Dieu d’Amour, qui reste un grand mystère. Ses ministères auprès de lycéens (dix années), puis auprès des étudiants de l’Institut catholique de Paris (cinq années), qu’il voulait éveiller au mystère de Dieu. L’insupportable solitude engendrée par la brusque interruption d’une thèse de théologie, pour des affectations dénuées de tout bon sens. Puis la longue et pénible procédure d’une demande de "réduction à l’état laïc", afin de pouvoir se marier religieusement… Plus qu’une biographie, un témoignage précieux sur le fonctionnement de l’Église et du diocèse de Paris au milieu du XXe siècle. »

La plume de Florence, discrète mais indispensable pour faire revivre au mieux le parcours de Roger, ne s’impose qu’aux derniers chapitres pour évoquer leur mariage "en catimini" comme les règles l’imposaient, puis la maladie et le décès de Roger en 1990. Malgré toutes les promesses et les conventions passées, les funérailles à l’église lui seront refusées par ordre de l’évêque deux heures avant… « Repli sur notre jardin pour une cérémonie inouïe ! » Florence conclut : « Cette inhumanité des représentants de l’Église, en un tel moment, me conduisit à m’exonérer totalement et définitivement de l’engagement au secret qu’elle nous avait imposé : je ne pouvais, plus longtemps, rester complice de cette hypocrisie pour maintenir la fausse image d’une Église sans rides. » (p. 222).

Et c’est aussi l’occasion de rappeler un autre petit témoignage Écoute ton cœur et va ! de Christiane Vika, que nous avions déjà présenté dans notre bulletin de mars 2021. Il vaut la peine d’en prolonger la lecture par l’entretien qu’elle a accordé à Pascal Hubert et qui est accessible sur  https://www.youtube.com/watch?v=OvYv76uF9S0

Enfin, pour "actualiser", renvoyons au témoignage de ce nouveau couple cité par nos amis de Plein-Jour : Un prêtre quitte le ministère pour se marier. Voici la lettre qui a été lue par le curé de sa paroisse des Landes aux messes des 12-13 mars dernier.

« Chers amis de la paroisse, Vous nous connaissez bien ; Bernadette, j’ai régulièrement fait des animations musicales pour les grandes fêtes qui rythment notre vie de chrétien ; Emmanuel j’ai servi comme prêtre au milieu de vous depuis des années.
Aujourd’hui nous avons pris une décision importante : prendre un nouvel engagement dans notre chemin de vie, celui du mariage. Nous comprenons que cette nouvelle puisse être pour certains d’entre vous, inattendue et déroutante. Nous espérons qu’elle sera aussi pour vous chemin d’accueil, chemin de réflexion. Nous tenons à vous dire que c’est après une mûre réflexion que nous nous engageons maintenant ouvertement dans ce chemin. Nous avons personnellement espéré et attendu que l’Église hiérarchique permette aux prêtres qui le désirent, de se marier. Mais l’orientation de l’Église hiérarchique ne nous per-met pas de l’espérer actuellement. Nous ne cherchons pas ici à nous justifier ou à vous convaincre. […]
Nous voulons donc juste vous assurer que notre amitié demeure. Nous voulons également vous dire que ce nouvel engagement différent, n’est pas une rupture ni avec vous ni avec Dieu. Notre amour pour Dieu et pour répandre son Amour reste le même : aussi fort, aussi important.
A l’heure où la tristesse de la guerre accable tant de monde et répand son ombre de la mort, nous voulons témoigner de l’amour et ne pas le cacher, témoigner de la vie et continuer à prier pour qu’elle triomphe.
Que cette lettre vous trouve et vous garde aujourd’hui dans la Paix et que la foi que nous partageons en ce Dieu unique et plein d’Amour nous permette de nous retrouver demain et d’avancer sereinement.
Bernadette et Emmanuel »

Nous continuerons donc le combat…                                   

[1] Florence CHAVENEAU, Amour et foi d'un prêtre marié religieusement, Ed. Jets d'Encre, 234 pages, 2021

Pierre COLLET
 

La lettre de H.L.M. mars 2022

 

Le célibat des prêtres, le débat relancé ?

 

« J’ai une très haute opinion du célibat, mais est-il indispensable ? » C’est la question que partageait le cardinal luxembourgeois et président de la Commission des épiscopats de l’Union européenne (Comece) Jean-Claude Hollerich en janvier dernier : « [...] demandons-nous franchement si un prêtre doit nécessairement être célibataire. »

Une autre voix influente défend la fin du célibat obligatoire pour les prêtres, c’est celle du cardinal allemand Reinhard Marx : « Je me demande si (le célibat) doit être posé comme une condition de base pour chaque prêtre. Je pense que les choses telles qu’elles sont ne peuvent plus continuer ainsi. » Le 4 février, les membres du Chemin synodal en Allemagne, à parité entre clercs et laïcs, ont justement voté, à 86 %, un document appelant à assouplir le célibat en le rendant facultatif. Ce propos n’est évidemment pas une nouveauté pour les petits Belges : le cardinal Jozef De Kesel et Mgr Jean Kockerols avaient déjà dit la même chose lors du Synode de 2018.

Mais on a beau s’interroger et relancer le débat de toutes parts, y a-t-il réellement un espoir que les choses changent ? Ce n’est pas l’impression que laisse le Symposium sur le sacerdoce qui s’est tenu à Rome du 17 au 19 février dernier. Toutes les interventions [1] concourent à justifier la valeur éminente du célibat, même si l’introduction par le cardinal Ouellet se veut prudente et rappelle le contexte des abus dont se sont rendus coupables tant de prêtres… Les références à une certaine anthropologie en même temps qu’aux inévitables citations thomistes, mais aussi le témoignage de religieuses par exemple, laissent une impression de bricolage sur fond de théologie répétitive et totalement idéologique, voire même passéiste par sa déconnexion du vécu. Tout en continuant d’assimiler la condition des prêtres à celle des religieux et en insistant sur son caractère "consacré". André Paul [2] vient d’écrire là-dessus un témoignage éclairant à propos de la lecture du bréviaire en lieu et place des offices monastiques ainsi que de la vie communautaire.

 

La caste des chastes [3]

 

Nous avions déjà signalé ce petit livre il y a un an lors de sa sortie en italien. Dans un essai sans concession, le sociologue de l’université de Bergame Marco Marzano analyse le rapport des prêtres à leur intimité. Il dénonce une institution rendue "schizo-phrène" par l’exigence de chasteté, et au sein de laquelle la sexualité serait omniprésente, mais cachée.

Marco Marzano a recueilli les témoignages de dizaines de prêtres, de leurs anciens compagnons et compagnes, d’hommes ayant quitté la prêtrise, mais aussi de formateurs, de psychologues. Partant de ce travail de recherche, l’auteur avance un chiffre : en Italie, seuls 10 % des prêtres vivraient chastement…

Et si l’Église catholique s’arc-boute sur le célibat et la chasteté de ses prêtres, et si elle ferme les yeux tant que les "écarts" restent cachés, c’est avant tout pour préserver son pouvoir, explique-t-il. Ces deux exigences garantissent d’une part la sujétion des prêtres à l’institution, et d’autre part l’image d’êtres "supérieurs" dont ils jouissent aux yeux des fidèles qui acceptent ainsi de leur obéir. Rien de bien neuf sans doute, mais une confirmation de plus : quel gâchis !

 

Le prêtre et le sacré

 

Bien au-delà de la seule question du célibat, le Symposium romain cité plus haut avait l’ambition de remettre en évidence les fondements du sacerdoce ministériel par rapport au sacerdoce des baptisés, programme bien connu mais qui mérite quand même un questionnement... [4] Y avait-il la moindre chance que ce genre de colloque et ses invités bien choisis dans la ligne d’Ouellet puissent aborder la crise actuelle du sacerdoce avec un minimum d’esprit critique ? C’est ce dont doute le théologien jésuite chilien Jorge Costadoat [5] qui n’y va pas de main morte : « La version sacerdotale du christianisme en est devenue une expression pathologique ! […] Le principal problème n’est pas le cléricalisme, c’est la structure sacerdotale elle-même. » En cause, la "séparation" par rapport aux "simples mortels" qui ne permet pas aux prêtres de vivre les expériences fondamentales de leurs contemporains.

Pour beaucoup, cette question du sacré sur arrière-fond de "religion" reste le nœud de tous les problèmes. Il y a une dizaine d’années, les Communautés de base avaient consacré une journée à s’interroger là-dessus.[6]  Aujourd’hui, les réflexions de Robert Fabrou [7] nous interpellent : « Le sens du sacré est-il essentiel à la foi ? »

 

Le prêtre aurait-il encore une place et une fonction ?

 

C’est le même thème qu’abordait Danièle Hervieu-Léger au rendez-vous de la Conférence des Baptisés en décembre dernier et dont on trouvera un résumé ci-dessous. En dialogue avec Jean-Pascal Gay, historien à Louvain-la-Neuve, ils s’accordaient sur l’idée que la seule justification possible de la présence d’un prêtre était de veiller à l’unité d’une communauté et d’assurer des liens avec les autres et avec la grande Église.

Pour finir, et même s’il y aurait encore tant de choses à partager, je voudrais relayer l’appel de Guy Aurenche de Saint-Merry : « Moi j’aime bien l’expression du père Congar qui disait qu’il y a trois symboliques chez le prêtre : le prêtre, c’est le lieu, c’est une symbolique temporelle, il nous relie à toute l’histoire de l’Église ; c’est un symbole dans l’espace, c’est-à-dire qu’il nous relie à l’ensemble de la communauté ; et puis, c’est une symbolique d’altérité, le prêtre est là pour nous dire : ce n’est pas vous qui décidez de votre mission, vous avez reçu cet appel à annoncer l’Évangile ! Et cette symbolique, … et bien parlons-en, mettons les choses au point, horizontalement, fraternellement."[8]

[1] Les interventions des trois journées sont toujours visibles sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=gUftpFjOTag  Le site du Centre catholique des médias de Suisse romande donne de brèves présentations de plusieurs des communications faites à ce Colloque :  https://www.cath.ch/tag/symposium-sur-le-sacerdoce/
[2] André PAUL, Prêtres selon le modèle du chaste bourgeois du XIXe siècle, in GoliasHebdo : http://www.pretresmaries.eu/pdf/fr/658-Andre_Paul.pdf
[3] Marco MARZANO, La caste des chastes. Les prêtres, le sexe et l’amour, Ed. Ph. Rey, 2022, 221 pages. Bonne présentation dans Le Monde du 26 janvier 2022. Voir aussi http://www.pretresmaries.eu/fr/Lectures.html#629
[4] Patrice DUNOIS-CANETTE : https://saintmerry-hors-les-murs.com/ 2022/02/16/faut-il-repenser-le-sacerdoce-ministeriel/
[5] https://www.religiondigital.org/cristianismo_en_construccion/des-sacerdo...
[6] On en trouvera la présentation et la documentation sur https://drive.google.com/file/d/1qWbs9JGfVYN2gzeXng-g7pIOaoPj_bzb/view
[7] Robert FAVROU, Y a-t-il encore de la place pour le sacré ? sur le site de la CCBF : https://baptises.fr/content/y-a-t-il-encore-place-sacre
]8] https://saintmerry-hors-les-murs.com/2021/12/09/aimer-leglise/

Pierre COLLET

 

La lettre de H.L.M. décembre 2021

 

Après le "Rapport Sauvé"

 

La plupart des très bons commentaires publiés dans la foulée du Rapport Sauvé sur les abus sexuels commis par des membres du clergé en France ont bien relayé l’insistance sur la dimension systémique du phénomène. C’est très important, indispensable même pour comprendre mais surtout pour initier les réformes de fond qui s’imposent. Tout en redisant qu’il ne s’agit évidemment pas de dédouaner de leur responsabilité les prédateurs coupables de ces crimes. Sans oublier la mise en œuvre d’une "justice réparatrice" adéquate.

Beaucoup d’auteurs ont approfondi l’analyse et relient ces dérives à l’image et à la fonction du prêtre tel que nous le connaissons depuis plusieurs générations. L’un des plus pertinents et non suspect de gauchisme n’est autre que le dominicain Hervé Legrand [1] : on a beaucoup parlé de cléricalisme dans ce contexte et du caractère sacré attribué aux actes liturgiques mais aussi aux personnes qui les posent. Mais notre auteur va plus loin et n’hésite pas à mettre en cause l’invention d’une distinction entre prêtres et laïcs. Quand le pape François répète que « dire non aux abus, c'est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme », est-il clairement conscient que le type d'autorité et de pouvoir reconnu aux clercs dans l'Église catholique doit être réformé et que c’est tout un pan de l’ecclésiologie qu’il faut abattre aujourd’hui ? Son prédécesseur Jean-Paul II avait particulièrement insisté sur le fait que le sacerdoce des prêtres « est d’une autre essence que celle du sacerdoce commun », plutôt que de mettre l’accent sur sa fonction pastorale. Legrand est catégorique : l’ecclésiologie courante actuelle est erronée et n’est pas fidèle à la tradition de l’Église ancienne pour laquelle « l’autorité s’exerçait dans l’Église et non sur elle, étant intégrée dans les églises locales avec élection des responsables de communautés ». S’ensuit logiquement que la "vocation" ne doit pas tant être interprétée comme un appel intérieur que comme une affaire de communauté, et que c’est l’assemblée qui est le sujet de toute "célébration", que c’est donc elle qui en délègue la présidence au "prêtre" de la communauté. « En conclusion de ces analyses et de ces constats, je dirais pour ma part que les abus de pouvoir, qu’ils soient sexuels, spirituels, liturgiques, organisationnels, ne peuvent cesser que si l’on accepte une réelle déconstruction du système clérical. Cette déconstruction passe par des changements de structure, tant dans les modes de pensée que dans le système institutionnel hiérarchique. »  Les temps seraient-ils mûrs pour Vatican III ?

Sur le même registre mais d’un point de vue plus sociologique, il faudrait aussi renvoyer à l’analyse de Danièle Hervieu-Léger [2] et à celle de Véronique Margron qui pointe avec insistance la question du silence et la "culture du secret"[3]. Ou encore à celle de J.-L. Lecat : « Le drame du pape François n’est-il pas que c’est au nom de son pouvoir qu’il dénonce le pouvoir (clérical), … ce qui est encore du cléricalisme ? » [4]

Et s’il fallait choisir par quel bout commencer à réformer, pour faire bref, ce serait sans doute par cet aspect des choses : une séparation nette de ce qu’on appelle encore les "pouvoirs", pas seulement d’ordre et de juridiction comme on disait, mais surtout entre l’accompagnement spirituel, les sacrements et la gouvernance. Tout le monde gagnerait à ce que les rôles soient clarifiés, et en particulier celles et ceux dont "l’intime" a pu être si gravement malmené…

"Si l’église ne meurt…" Cette phrase ne cesse de me poursuivre à la lecture de ces textes, mais aussi à propos de la préparation du processus synodal... Souvenez-vous, c’est le titre d’un des très bons petits livres de Louis Évely qui a été publié il y a tout juste 50 ans, presque jour pour jour.

[1] Hervé LEGRAND, Les dimensions systémiques de la crise des abus dans l’Église catholique et la réforme de l’ecclésiologie courante, in Revue des sciences philosophiques et théologiques, juillet-septembre 2020. Bref résumé par son confrère dominicain Alain DURAND in Golias-Hebdo n° 694 du 4 novembre 2021.
[2] Le célibat des prêtres, clé de voûte du système clérical, dans Le Monde du 22 octobre : « pas de place pour les femmes face à l’impératif de confirmer l’état sacré du prêtre mâle identifié à un autre Christ ». http://www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#656
[3] Sauver une vie l’emporte sur tout secret, dans Le Monde du 20 octobre. http://www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#657
]4] http://www.dieumaintenant.com/ciasepointsdevuedamis.html  On lira aussi avec intérêt le commentaire d'André Paul dans Golias Hebdo n° 698 sur "Prêtres selon le modèle du chaste borgeois du XIXe siècle

Pierre COLLET

 

La lettre de H.L.M. septembre 2021

 

Hors-les-murs, trois ans plus tard…

 

Les objectifs de Hors-les-Murs sont-ils toujours d’actualité ? Sont-ils rencontrés dans les activités et les préoccupations des "derniers" volontaires qui se sont réunis le 29 août dernier et qu’en pensent-ils ? C’est ce qu’on voudrait vous raconter dans l’article qui suit. Plus loin, il sera question une fois de plus du déclin de ce qu’on nomme "les vocations" à partir d’un article récent du jésuite français Marc Rastoin. Et enfin nous vous recommandons vivement la lecture du dernier petit livre de notre ami Michaël Singleton, Tous « dé-missionnaires » : nous vous en offrons un avant-goût…

Les mesures sanitaires y sont forcément pour quelque chose : l’association ne s’était plus réunie depuis trois ans et comme tout le monde nous avons été forcés de nous contenter de contacts plus individuels voire occasionnels. Mais en ce dernier dimanche du mois d’août, nous avons pu enfin nous retrouver à une quinzaine tout en regrettant l’absence de quelques-uns que l’état de santé ne permettait pas de nous rejoindre : il faut aussi reconnaître les effets du temps qui passe, la majorité des présents d’aujourd’hui avouant sans complexe être octogénaire et espérant qu’on les créditera de la sagesse censée accompagner cette situation… Retrouvailles très chaleureuses, échange de nouvelles, et bien sûr l’évocation de ceux qui nous ont quittés depuis la dernière rencontre : Roger Sougnez, José Lhoir, Charles Chalant, Jean-Loup Robaux.

C’est bien sûr l’amitié qui a marqué cette journée, appuyée sur les souvenirs de ce que nous avons vécu à Hors-les-Murs : 41 ans de compagnonnage pour certains d’entre nous ! Nous avons aussi pris le temps d’évaluer ce que devient notre association et d’en approuver la gestion financière : saine et claire comme il se doit.

Ce fut surtout l’occasion de reparler des objectifs de notre groupe et de constater que ne nous parvient quasiment plus aucune demande pour écouter, aider ou accompagner des prêtres, religieuses ou religieux « en partance » : aucune activité ne répond plus à ce premier objectif de HLM. Un échange s’engage sur les chiffres des départs et les raisons possibles de leur anonymat : l’article qui suit tente d’évoquer cette problématique. Au chapitre d’autres projets éventuels, et à l’instar de certains groupes-frères des pays qui nous entourent, on suggère de nous intéresser davantage à la situation des femmes compagnes de prêtres, voire à celle des enfants (cachés) de prêtres (en fonction, s’entend…) : c’est d’une volonté d’attention à des exclues et des exclus qu’il s’agirait. Mais on doit bien avouer notre perplexité et même notre incompétence face à tout cela : aucune information ne nous semble accessible en Belgique à ce propos, et encore moins de demande…   

En travaillant de concert avec les communautés de base dans le réseau PAVÉS et en publiant ensemble le bulletin trimestriel que vous avez entre les mains, nous tentons de rejoindre l’autre objectif de notre association : « Un travail de sensibilisation en vue de transformer les mentalités et les comportements des chrétiens, de leur hiérarchie et de l’ensemble de la société. […] Poursuivre la réflexion sur les formes des ministères appelées par nos contemporains. […] Nous appelons de nos vœux des fonctions ministérielles ouvertes à des femmes et à des hommes reconnus comme équilibrés et compétents par les communautés. » L’engagement de plusieurs d’entre nous dans la revue est salué et encouragé. Une discussion concernant l’éventuelle spécificité de la composante HLM ne débouche pas sur une conclusion claire : faudrait-il alimenter davantage la partie HLM de ces thématiques ? Mais la question des réformes dans l’Église et même celle des ministères sont portées aussi, voire davantage, par les autres composantes du réseau… Une suggestion est pourtant faite avec insistance par l’une d’entre nous et que plusieurs semblent approuver : « C’est d’une approche féminine voire féministe que l’Église a besoin pour changer en profondeur. Ce n’est que comme ça qu’elle pourra passer d’une attitude de pouvoir à une attitude de service, d’un langage dogmatique à un langage symbolique… » Et de demander que l’apport de Hors-les-Murs prenne cette couleur-là…

Il n’est évidemment pas possible de rendre compte de la richesse du débat, et encore moins de toutes les conversations qui ont égayé nos retrouvailles ! Mais on n’attendra plus trois ans pour se revoir, on l’a promis… Merci encore à chacune et à chacun !

 

Pierre COLLET
 

 

La lettre de H.L.M. juin 2021

 

De nouveaux ministères à la sauce François… ?

 

À Hors-les-Murs mais plus encore dans notre réseau PAVÉS, nous avons souvent évoqué la division du "Peuple de Dieu" en deux "classes" de clercs et de laïcs, et particulièrement la sacralisation à outrance des fonctions ministérielles dans la théologie et dans la pratique de l’Église catholique. Et nous restons bien convaincus que c’est dans cette séparation que se situe le principal obstacle à toute réforme en profondeur, parce que l’enjeu en est évidemment une question de pouvoir.

Les nombreuses interventions du pape François contre le cléricalisme et en faveur de responsabilités mieux partagées ne semblent pas remettre en question cette séparation entre le sacré et le profane. Et même si depuis quelques années, des laïcs, hommes et femmes, ont été invités à remplir des missions pastorales (généralement dans les domaines caritatifs ou administratifs), on ne parlait pas de "ministères". C’est en 1972 que Paul VI a institué pour la première fois deux "ministères laïcs", ceux de lecteur et d’acolyte, après avoir supprimé les autres ordres dits "mineurs" ainsi que le sous-diaconat. François vient de les ouvrir aux femmes en janvier dernier, et de créer maintenant le ministère de "catéchiste"… Qu’est-ce que tout ça peut bien changer ? Après avoir refusé d’ordonner à la prêtrise les catéchistes d’Amazonie et renvoyé aux oubliettes le diaconat pour les femmes, ne serait-ce pas que des emplâtres sur une jambe de bois ? 

J’aimerais signaler deux articles à ce sujet qui me paraissent assez éclairants. Celui d’un théologien suisse d’abord, François-Xavier Amherdt (1) qui compare François à un peintre impressionniste : par petites touches de couleur, le pape poserait les balises d’une nouvelle ecclésiologie. Ce qui est nouveau, insiste le théologien, c’est le caractère "institué" de ces fonctions – mais pourquoi ne pas utiliser le terme d’"ordonné" ? – qui leur donne une dimension de stabilité et de reconnaissance. Et cette dernière pourrait être bien plus significative qu’on ne pense : « concrètement, le lectorat pourrait être attribué à des femmes et des hommes impliqués dans l’animation de toute la pastorale, y compris de cercles bibliques par exemple ». Une valorisation bienvenue de certaines fonctions déjà accomplies. Mais le théologien imagine un futur. « Sans ouvrir le débat sur le diaconat et le presbytérat féminin, on pourrait imaginer que dans la même logique, François institue le ministère de "responsables laïcs adultes [hommes ou femmes] et dotés d’autorité, qui connaissent les langues, les cultures, l’expérience spirituelle et la manière de vivre en communauté de chaque lieu […]", ainsi qu’il l’écrivait dans Querida Amazonia » …

L’autre article est d’une auteure bien connue outre-Atlantique, la féministe Phyllis Zagano (2) . Après avoir resitué ces innovations dans une évolution historique bloquée au 12e siècle par la réforme grégorienne, la théologienne rejoint totalement la lecture de son collègue suisse. Et comme la plupart des autres commentateurs, elle interprète cette "ouverture" de Rome à multiplier les ministères comme une contestation de la solution généralement adoptée chez nous de fusionner les paroisses en entités plus larges, les "unités pastorales". En instituant les catéchistes, « [le pape] a mis le doigt sur les échecs des paroisses "jumelées" ou "couplées", où un pasteur et son staff personnel gèrent plusieurs communautés, qui en elles-mêmes sont essentiellement sans chef. […] »

Nos évêques entendront-ils la stratégie de François : beaucoup plus de personnes avec des responsabilités diversifiées, plus de proximité, avec bien entendu les coordinations nécessaires ? Car contrairement à ce qu’on pourrait penser, « plus la paroisse est petite, plus la coordination est importante » …

(1) François-Xavier AMHERDT, Nouveaux ministères : François, un peintre impressionniste, in Golias-Hebdo n° 673 du 20 mai 2021.

(2) Phyllis ZAGANO, François redessine l’Église avec de nouveaux ministères laïcs, dans National Catholic Reporter, www.ncronline.org/ traduc. fr. sur https://nsae.fr/

Pierre COLLET
 

La lettre de H.L.M. mars 2021

 

Faute de place dans notre dernier bulletin de décembre 2020, nous avions dû renoncer aux nouvelles concernant Hors-les-Murs et ses objectifs plus spécifiques. Nous tentons de nous rattraper ici, quitte à renvoyer pour d’autres compléments à nos deux sites en ligne : www.hors-les-murs.be/ et www.pretresmaries.eu/

Mais d’abord une clarification s’impose, qui nous est demandée par un lecteur. Il n’aura échappé à personne que nous ne cessons de publier des analyses qui défendent une intégration de plus en plus totale des laïcs à la vie et aux décisions de notre Église et qui stigmatisent le "cléricalisme" sous toutes ses formes.(1)  Parallèlement, nous continuons dans cette Lettre de HLM à critiquer l’interdiction du mariage pour les prêtres catholiques latins ainsi que ses conséquences pour eux-mêmes, pour leurs compagnes plus ou moins clandestines et pour leurs éventuels enfants. Lutter contre ces injustices et aider les "victimes" – que nous avons été aussi – à s’en sortir, cela reste la raison de notre association, et malheureusement cette réalité est toujours aussi actuelle : nous continuons donc de la dénoncer. Si ces deux attitudes peuvent semblent manquer de cohérence pour certains, ce n’est pas notre avis. Il n’y a aucune contradiction entre prendre la défense de personnes qui vivent et souffrent très concrètement aujourd’hui d’une discipline ecclésiastique d’un autre âge et vouloir une nouvelle manière de faire église de manière plus "inclusive", en imaginant un tout autre statut des "animateurs" des communautés chrétiennes. C’était la position défendue par notre Congrès européen de Madrid en 2015 et l’objet du livre publié à cette occasion : Prêtres dans des communautés adultes.(2)

Les médias se sont toujours beaucoup intéressés à la situation des "prêtres mariés ou en couple". Le Monde vient à nouveau d’y consacrer une enquête bien documentée qui donne la parole à Jean-Louis Schlegel, sociologue des religions : « L’ordre de grandeur qui revient souvent, c’est un prêtre sur trois, voire deux prêtres sur trois, qui aurait une relation physique ou amoureuse avec une femme ou un homme. Mais dans l’ignorance des chiffres, certains ont tendance à minorer ou majorer leurs estimations en fonction de leur position sur le célibat… » L’article (3) est aussi l’occasion de faire connaissance avec Marie-Laurence Brunet (4), nouvelle présidente de l’association Plein-Jour.

Ne manquons pas de signaler sur ce sujet la sortie d’un petit livre italien (5) qui n’y va pas de main morte. Sa thèse : le célibat est « la cause de l’immaturité affective de beaucoup, de grandes souffrances, de doubles vies, de sexualités déviantes. »

Depuis deux ans, la hiérarchie semble enfin prendre au sérieux la question des enfants cachés de prêtres. En France, « l’association Enfants du silence, Enfants de prêtres (6) a entamé un dialogue avec la Conférence épiscopale pour obtenir que les enfants qui le demandent puissent mieux connaître leur père en accédant librement à son dossier dans tous les diocèses de France et dans toutes les congrégations religieuses. Il reste encore beaucoup à faire mais c’est un beau début ! » Plus récemment, Vincent Doyle a obtenu du président du Comité Pontifical de Sciences Historiques au Vatican une réponse à sa demande « pour reconnaître que le silence sur les enfants de prêtres a été une erreur ». Psychothérapeute irlandais de 38 ans, Doyle a découvert en 2011 qu’il était un enfant de prêtre, et a créé en 2014 Coping International. Son site (7) très bien fourni est devenu incontournable sur tout ce qui touche à la question et sur l’attitude espérée des autorités ecclésiastiques et il vient de publier un beau livre (8) qui raconte sa propre histoire et celle de l’association. Le seul fait de sa présentation sur le site officiel de Vatican News peut sans doute être considéré comme une prise de conscience et un tournant...

De Rome aussi, on apprenait l’année dernière qu’une certaine inquiétude se manifestait face aux chiffres de départs massifs de religieux et religieuses. Le constat n’est pas nouveau : en 2017, le pape s’était publiquement inquiété des nombreux abandons de la vie religieuse, allant même jusqu’à évoquer une "hémorragie" qui « fragilise la vie consacrée et la vie même de l’Église ». Cette fois, c’est la Congrégation pour les instituts de vie consacrée qui publie un document intitulé Le don de la fidélité, la joie de la persévérance (9).

Les chiffres sont-ils alarmants ? De 2 à 3000 départs chaque année (sur 1,5 million, quand même…). Réaction d’une amie ancienne religieuse : « Pour ma part, j’ai été déçue en lisant l’article de la Croix sur le document romain […]. Les choses semblent vues uniquement à partir du prisme de la personne qui part : "fidélité et persévérance". À ce qui me semble, rien sur la part de responsabilité des instituts dans cette dérive ! Ahurissant. » Dans un article bien documenté, un supérieur rédemptoriste (10) réagit au document avec nuance en analysant les choses dans sa propre congrégation et reconnaît un certain « partage des responsabilités », pointant en particulier le manque de formation continue et de gestion des conflits, ainsi que d’un travail de résilience.

Le sujet est évidemment complexe et supposerait qu’on tienne compte des paramètres socioculturels des départs. Ainsi La Croix Africa (11) nous offre une petite enquête sur le défi de la réinsertion professionnelle des religieuses : des témoignages poignants et des analyses qui feront débat, évidemment… 

Un dernier mot pour vous signaler la sortie du dernier ouvrage de notre ami Mike Singleton.(12) N’allez pas imaginer que ses préoccupations se situent loin des nôtres… Au-delà des apparences, les phénomènes dits de "possession" ont bien plus à voir avec le social et avec le psychologique qu’avec ce qu’on appelle habituellement la "religion". À creuser, bien sûr…

(1) Comme l’article de Jean-Pol GALLEZ ci-dessus, ou la présentation du dernier livre d’Anne SOUPA, Pour l’amour de Dieu, par Laure-Zabeth LORENT : par manque de place, nous nous contenterons de mettre cet article en ligne sur https://www.paves-reseau.be/revue.php?id=1826
(2) Infos sur http://www.pretresmaries.eu/pdf/fr/536-Livre.fr.pdf
(3) de Justine RODIER, en date des 3-4 janvier 2021. L’article est repris in extenso in https://plein-jour.eu/wordpress/les-pretres-en-couple-le-tabou-de-leglise/
(4) Elle a publié son histoire sous le pseudo Marie LAURENS, Mariée à un prêtre papa, Ed. Baudelaire, 2019
(5) Marco MARZANO, La casta dei casti. I preti, il sesso e l’amore, Ed. Bompiani, 2020 : https://ilmanifesto.it/eros-e-celibato-ecclesiastico-i-guasti-di-un-sist... Entretemps, Telerama a publié un interview de l’auteur accessible sur https://www.telerama.fr/debats-reportages/leglise-conduit-la-plupart-des...
(6) https://enfantsdusilenceblog.wordpress.com/
(7) www.copinginternational.com/ On peut lire son interview à NCR traduit sur https://nsae.fr/2021/02/02/le-vatican-reconnait-que-le-silence-sur-les-e... Voir aussi l’article de C. TERRAS dans Golias Hebdo n° 660 du 18 février 2021.
(8)   Vincent DOYLE, Our Fathers : a Phenomenon of Children of Catholic Priests and Religious, Ed. Feed-A-Read, 2020. Une présentation très exhaustive en est donnée sur https://www.vaticannews.va/en/church/news/2021-02/vincent-doyle-our-fath...
(9)  Voir la présentation par Lorenzo PREZZI dans Vies Consacrées : https://vies-consacrees.be/actualites/le-don-de-la-fidelite-et-la-joie-d... et plus détaillée en italien : http://www.settimananews.it/vita-consacrata/consacrazione-fedelta-gioia/ 
(10)  Rogério GOMES, La perseveranza liquida in un mondo frammentato, in
https://www.cssr.news/italian/2020/09/la-perseveranza-liquida-in-un-mond... (aussi en anglais).
(11)  La Croix Africa du 29 octobre 2020 : https://africa.la-croix.com/anciennes-religieuses-le-defi-de-la-reinsert...
(12)  Michael SINGLETON, Religion ? Vous avez dit « religion » ? L’esprit et les esprits des Wakonongo, Paris, éditions Pétra, décembre 2020, 576 pages.

Pierre COLLET

 

La lettre de H.L.M. septembre 2020

 

Dans la foulée des deux précédentes Lettres de H.L.M., nous nous contenterons de signaler brièvement ici deux réactions d’amis proches à Querida Amazonia, particulièrement au fait que le pape n’y ait pas accédé à la proposition du Synode concernant les viri probati.

D’abord la "réponse" de la communauté de base San Paolo de Rome qui vient de publier un petit livre(1) disant clairement sa pratique et justifiant ses choix. On y raconte « comment et pourquoi, depuis le milieu des années 1970, la communauté a remis en question le concept traditionnel de "sacerdoce" étranger au message de Jésus ; on y souligne d’autre part que la fidélité évangélique suppose l’égalité de tous et qu’elle les a conduits à ouvrir les "ministères ecclésiaux" aux hommes et aux femmes, tous et toutes capables de rompre le pain eucharistique et de présider le Repas du Seigneur. »

Dans le dernier bulletin de Plein Jour(2), Jacques Musset partage une interprétation positive de Querida Amazonia – il reconnaît que c’est peut-être un rêve… – en attirant l’attention sur le § 104. En quelque sorte assis entre deux chaises, ne voulant pas "cléricaliser" encore davantage (les catéchistes amazoniens, et moins encore les femmes…), mais se situant lui-même au sommet de la pyramide du système des "ministères ordonnés", le pape François s’est souvenu de la Aufhebung de la dialectique hégélienne :

« Lorsque cela se produit, il est probable que la vraie réponse aux défis de l’évangélisation se trouve dans le dépassement des deux propositions en trouvant d’autres voies meilleures, peut-être non encore imaginées. Le conflit est surmonté à un niveau supérieur où chacune des parties, sans cesser d’être fidèle à elle-même, est intégrée avec l’autre dans une nouvelle réalité. Tout se résout "à un plan supérieur qui conserve, en soi, les précieuses potentialités des polarités en opposition". » (QA n° 104)

Qu’est-ce que cela signifie ? À tout le moins qu’il y a encore des pistes à chercher et à trouver… Mais cela c’est une histoire qui devrait s’écrire dans le secret des forêts équatoriales : une nouvelle "Conférence ecclésiale" a été créée cet été par le REPAM en Amazonie « pour délimiter le visage amazonien de l’Église » et continuer à « trouver de nouveaux chemins pour la mission évangélisatrice ». Une "Conférence ecclésiale" donc, et non une "Conférence épiscopale" : ce nouvel organisme compte aussi des laïcs et des religieux et religieuses, dont les présidents des organismes régionaux comme la Caritas. L’espoir reste permis…

1   Maddalena e le altre. La Chiesa, le donne, i ministeri nel vissuto di una storia, Ed. Ilmiolibro, 2020, 88 pages. https://ilmiolibro.kataweb.it/libro/religione/550978/
2   Bulletin n° 49, juin 2020, p. 12-15 : https://plein-jour.eu/wordpress/wp-content/uploads/2020/03/PJ49.pdf

Pierre COLLET
 

 

La lettre de H.L.M. juin 2020

 

La question du célibat obligatoire refait surface…

 

En commentant dans notre lettre précédente l’Exhortation Apostolique Querida Amazonia, et en nous inspirant des remarques d’Ignace Berten, nous n’imaginions pas à quel point le silence du pape François concernant les viri probati allait relancer le débat sur la question de l’obligation du célibat pour les prêtres. Bien sûr, la tentative de  coup de force du cardinal Sarah aurait dû nous mettre la puce à l’oreille : en utilisant, voire sans doute en manipulant l’appui du pape émérite, le chef de file des anti-François ne se contentait pas d’alimenter "la guerre des papes", comme la presse l’a qualifiée (1), mais il tentait de figer la compréhension de la prêtrise dans un sens ontologique très éloigné de ce qu’avait initié Vatican II et que prolongeait le Document final du Synode sur l’Amazonie. Les médias catholiques ont généralement bien mesuré l’importance du "problème" en présentant le livre et n’hésitent d’ailleurs pas à en pointer les limites (2).  À insister sur l’identité sacrée du prêtre, Robert Sarah et Joseph Ratzinger refont donc du célibat des prêtres une affaire théologique et non pas seulement disciplinaire, s’inscrivant à contre-courant de la majorité des historiens et des théologiens des deux dernières générations… Heureusement, bien des évêques semblent de plus en plus ouverts à une autre manière de voir, non seulement en Belgique, en Allemagne ou en Suisse, mais même en France, comme l’actuel archevêque de Poitiers (3).

Précisons pour information que des dossiers intéressants ont été publiés ces dernières semaines, dont celui de La Libre en Belgique (4)  mais surtout une enquête de The Conversation (5) auprès de 30 prêtres mariés et qui a débouché sur une analyse et une interprétation originales.

Sur la question du célibat comme nécessaire à "l’identité sacerdotale", notre ami Jean Combe (6) a publié un article remarquable où, s’inspirant des travaux d’exégèse de Daniel Marguerat (7),  il montre bien l’impossibilité, voire même l’invraisemblance de relier le célibat des prêtres à l’existence historique de Jésus. Mais même mise à mal par autant d’évidences, la spiritualité du prêtre "alter christus" a la vie dure…

À cent lieues de là, six prêtres de Suisse romande ont signé l’année passée un « appel pour un libre choix entre mariage et célibat » (8).  Ce sont des personnalités bien connues en Suisse – trois ont quitté le ministère pour se marier et les trois autres sont restés attachés à leur célibat – qui témoignent de leurs itinéraires humains et spirituels très différents, très riches, heureux, sereins et apaisés. Qu’en retenir ? D’abord le vide affectif que rencontrent trop de prêtres. Puis leur adhésion au message du pape François et la critique sévère de tout "conservatisme figé". Mais aussi la reconnaissance que les "déviances" résultent de la conjonction du pouvoir et du caractère sacré du prêtre.

Dans le même registre, signalons que les quelque 60 « Mémoires de prêtres ayant vécu Vatican II » publiés sur le site de la Conférence des Baptisés ont fait l’objet d’une tentative de relecture et de synthèse par un sociologue (9) . Dans sa préface, Anne Soupa regrette pourtant et à juste titre que l’auteur ait « volontairement écarté les questions concernant la sexualité »… Et que les témoignages ne soient pas très explicites sur l’accompagnement spirituel beaucoup plus attendu aujourd’hui, semble-t-il. Soit : les contours de ce qu’étaient, sont aujourd’hui ou devraient être les prêtres, sont encore loin d’être clairement dessinés !

Commentant à son tour Querida Amazonia, un des meilleurs connaisseurs de la situation amazonienne vient peut-être apporter un éclairage salutaire sur cette question (10).  Le Père Antonio José De Almeida, prêtre brésilien et professeur de théologie à l’Université catholique pontificale de Paraná, a participé au Synode en tant que consultant auprès de certains évêques pour avoir approfondi et développé l’hypothèse de plusieurs types de "prêtres", avancée il y a 20 ans par Mgr Lobinger qui proposait de distinguer entre prêtres "corinthiens" et prêtres "pauliniens".

« Comme dit l’Exhortation, "il ne s’agit pas seulement de faciliter une plus grande présence des ministres ordonnés qui peuvent célébrer l’Eucharistie. Ce serait un objectif très limité si nous n’essayions pas aussi de susciter une nouvelle vie dans les communautés." (n. 93). [...] La construction de communautés idoines est la première étape de tout le processus.» [...] En lien avec cette dimension communautaire fondamentale, il faudrait préciser que « les "prêtres de communauté" seraient différents des prêtres "célibataires", des "prêtres paroissiaux" et des "prêtres itinérants". Il s'agit d'un nouveau modèle, à configurer selon les caractéristiques et les besoins des communautés. Ce ne sont pas des prêtres de seconde zone, mais des vocations différentes. [...] »

Mais soyons brefs : plutôt que d’allonger encore cette recension d’articles, lisez plutôt ce qu’écrit de tout ça notre ami Paul Tihon aux pages 29 à 32 ci-dessus ! C’est bien plus pertinent et synthétique… Et l’extrait suivant de l’interview du théologien protestant Daniel Marguerat, d’une clarté absolue.

1. https://www.courrierinternational.com/article/religion-pretres-maries-la-guerre-des-papes-commence

2. BENOIT XVI et Cardinal Robert SARAH, Des profondeurs de nos cœurs, Fayard,  janvier 2020. Voir Christophe HERINCKX, Un lien exclusif à Dieu, et Plus loin que la tradition, dans l'hebdomadaire Dimanche des 2 et 9 février 2020 et sur le site de www.cathobel.be et de www.cath.ch/newsf . Intéressant aussi le survol par Maurice PAGE des opinions des papes contemporains sur la question du célibat : www.cathobel.be/2020/01/le-celibat-des-pretres-vu-par-les-papes-contempo...

3. Pascal WINTZER, Essayer d´autres chemins. L'Eglise, la mission et les prêtres en France, Salvator, 2020

4. Bosco D’OTREPPE, La Libre du 3 mai 2020 , https://www.lalibre.be/international/europe/l-histoire-sans-fin-du-celibat-des-pretres-5ea94ecd9978e2183301f73a

5. Accessible en ligne : https://theconversation.com/comment-les-pretres-maries-vivent-leur-ruptu...

6. Jean COMBE, Prêtre célibataire à l’aune de Jésus célibataire : https://plein-jour.eu/wordpress/celibataire-parce-que-jesus-etait-celiba... -  repris aussi sur le site de la Conférence des baptisés.

7. Daniel MARGUERAT, Vie et destin de Jésus de Nazareth, Le Seuil, 2019. Voir https://www.mondedelabible.com/a-lire-vie-et-destin-de-jesus-de-nazareth-par-daniel-marguerat/  Voir aussi J.-M. CULOT, Villégiature, dans notre bulletin de décembre 2019, pages 20-27.

8. François-Xavier AMHERDT, François GACHOUD, Claude DUCARROZ, Maxime MORAND, Michel SALAMOLARD, Jean-Cyprien PITTELOUD, Prêtres… et demain ? Ed. Saint-Augustin, 2019. Voir aussi la présentation par Jacques NEIRYNCK sur https://baptises.fr/livre/pretres-demain-livre-eclairant-courageux

9. Nicolas DE BREMOND D’ARS, Catholiques, rouvrez la fenêtre ! Ed. l’Atelier, 2019

10. Amazonie. Prêtres de communautés : la parole aux Églises locales. Entretien avec Antonio José DE ALMEIDA par Mauro CASTAGNARO, www.pretresmaries.eu/pdf/fr/624-Castagnaro.fr.pdf

Pierre COLLET

 

La lettre de H.L.M. mars 2020

 

Querida Amazonia

 

Dans notre bulletin précédent, après le Document final du Synode sur l’Amazonie qui recommandait l’ordination à la prêtrise des diacres mariés et des femmes au diaconat,  nous avions exprimé une fois de plus nos réticences face à ces demandes dans la mesure où elles s’inscrivaient toujours dans un schéma prêtre - laïc contestable : tant au nom de l’exemple donné par Jésus qu’en lien avec la culture d’aujourd’hui. On ne se plaindra donc pas que, dans son Exhortation apostolique, le pape n’ait pas cru bon d’accorder ces "exceptions"…

Sans surprise, les groupes de prêtres mariés (1) de par le monde expriment généralement leur déception, tout en soulignant avec force la satisfaction que leur procure l’orientation générale du texte quant à la nécessité "d’inculturer" le message de l’évangile. Les Allemands de la VkPF sont les plus élogieux à ce sujet, leur président étant d’ailleurs un ancien capucin anthropologue qui a beaucoup œuvré en ce sens en Amérique Centrale. Les Américains du Nord de l’association Corpus également qui insistent sur l’encouragement à recevoir le Document Final du Synode et l’attention à ne pas provoquer inutilement des tensions entre "conservateurs" et "progressistes".

Particulièrement intéressante est la position des prêtres mariés de Rumos au Brésil : les réactions très négatives de leur président Bolsonaro vis-à-vis du pape François à propos de sa gestion de l’Amazonie – et de tout le reste… – les ont en quelque sorte mobilisés sur ce terrain-là plutôt que sur le plan ecclésiastique, et c’est peut-être une leçon à retenir… On le constate très facilement : les différences d’interprétation sont autant de signes d’appartenance à des cultures ou à des situations particulières.

On devine que la marge de manœuvre du pape reste de toute façon étroite, entre menaces de schisme, conviction personnelle, et volonté de rencontrer les cultures d’aujourd’hui, sans même parler de la pression toute proche de certains cardinaux et de son prédécesseur toujours un peu dans l’ombre. La "réception" sera-t-elle au rendez-vous ? On apprend qu’en Australie, le seul pays où la Conférence Nationale des Prêtres avait fait une demande officielle pour abandonner l’obligation du célibat, la déconvenue est à son comble et ladite Conférence semblerait "ne plus y croire". En Allemagne, d’aucuns interprètent la non-candidature du cardinal Marx à sa réélection à une lassitude allant dans le même sens. Et dans les autres pays ? On y verra sans doute plus clair dans quelques semaines.

Ce qui est impressionnant et réconfortant en tout cas, c’est la constance que le pape François manifeste dans sa volonté de réformer la gestion de l’Église. Comme l’a fort bien montré Andrea Grillo (2), c’est le statut même du magistère qui est en train d’évoluer : le Document final (et même l’Instrumentum Laboris ?) est présenté comme faisant partie de ce magistère au même titre que l’Exhortation papale… Sans parler aussi de l’appel à la synodalité qui est vraiment la marque de François depuis ces 7 années.
Mais en comparant avec la même ouverture manifestée dans Amoris Laetitia, après le synode sur la famille, où les évêques étaient invités à prendre l’initiative, le jésuite chilien Costadoat est pessimiste : « D’après mes informations, très peu de conférences épiscopales dans le monde ont eu le courage de le faire. Les évêques du Brésil ordonneront-ils des viri probati ? Le feront-ils en alliance avec les Allemands à la recherche de changements ministériels semblables ? » (3)  Un peu de courage, messieurs les évêques !

Ajoutons pourtant que ce texte nous a fort déçus sur un point qu’Ignace Berten exprime bien ci-dessus (p. 33-34) : « Aucune ouverture n’est faite pour reconnaître et dénoncer le sacerdoce ministériel comme la racine absolue du cléricalisme contre lequel François a déclaré en août 2018 une guerre sans merci. »  (4) Il nous semble que c’est là que réside l’incohérence principale du pape François : en sacralisant le prêtre autant qu’il le fait – le célibat faisant apparemment partie de cette sacralisation et les femmes en étant exclues par principe – aucune "décléricalisation" n’est possible.

 

1. On trouvera leurs prises de position sur les sites des diverses associations : www.vkpf.de/news/263-amazonassynode  –  www.padrescasados.org/http://corpus-blog.blogspot.com/2020/02/why-pope-has-not-ruled-on-marrie... –  http://moceop.net/  –  www.padrescasados.org/  Nous avons publié plus haut le communiqué du réseau Redes Cristianas (p. 35-36)

2. Querida Amazonia est un texte ouvert. Entretien avec Andrea Grillo, www.paves-reseau.be/revue.php?id=1699

3. Jorge COSTADOAT, L’Amazonie manque-t-elle de prêtres ? www.paves-reseau.be/revue.php?id=1698  et Jabier Pikaza, Des prêtres au sens catholique traditionnel, il y en a trop,  www.paves-reseau.be/revue.php?id=1697

4. Jean-Luc LECAT, Querida Amazonia… Réflexion sur le cléricalisme, https://baptises.fr/content/querida-amazonia-reflexion-clericalisme

 

La lettre de H.L.M. décembre 2019

 

La prêtrise ? Du sacré au relationnel…

 

Dans le courrier des lecteurs de La Libre du 9 novembre dernier, Paul Tihon revient sur l’image du "prêtre-entraîneur" utilisée par un membre du CIL pour commenter le communiqué à propos de l’ordination d’hommes mariés dont il sera question plus loin (p. 61).

« Pour faire mesurer l’importance de ce rôle du prêtre, l’interviewé a usé d’une comparaison : celle de l’entraîneur d’une équipe de football, un personnage dont on parle souvent ces temps-ci. Surprenante à première vue, c’est une comparaison très parlante pour nous, catholiques, aujourd’hui. De plus en plus, dans nos communautés, une série de services sont assurés par des hommes – et souvent, des femmes – qui n’ont pour cela que la seule "consécration" de leur baptême. On assure des "messes sans prêtre", la comptabilité, la catéchèse des enfants, la visite des malades, les funérailles et d’autres fonctions. Il manque de plus en plus souvent une fonction indispensable : un entraîneur. Pas un spécialiste du sacré, doté par l’ordination de "pouvoirs sacrés", mais une personne capable de faire la cohésion du groupe, d’y favoriser l’unité d’action, d’y entretenir un "esprit". Pour le vieux théologien que je suis, cette comparaison sonne très juste. Elle rejoint l’esprit des origines, où il n’était pas question d’un "sacerdoce", mais où la communauté reconnaissait chez tel – ou telle – de ses membres l’aptitude à un certain leadership et vivait ce rôle comme celui d’un "président" (proestôs), ou d’un "pilote" (kubernètès), et en rien comme membre d’une caste dotée de pouvoirs spéciaux. Si nous voulons sortir du cléricalisme, dont l’actualité récente a révélé les dégâts, c’est, à mon avis, dans ce sens qu’il faut aller. (Paul Tihon, s.j.) »

Plusieurs d’entre nous trouvent aussi que l’image est à creuser, d’où ce petit commentaire envoyé à La Libre.

« Le Synode sur l’Amazonie retient l’attention de celles et ceux qui se sentent concernés par l’avenir de l’Église. François Glory, prêtre des Missions étrangères de Paris, qui a été missionnaire pendant 30 ans en Amazonie, estime que l’ordination d’hommes mariés risque de renforcer le cléricalisme. Il n’hésite pas à plaider pour une Église sans clergé. […] Mais pour que le ministère soit un véritable service, il faut qu’il soit, à l’image de l’entraîneur, un travail effacé. En effet, un entraîneur de foot ne monte pas sur le terrain pour assurer la présidence du jeu, mais il distribue le jeu en effectuant les remplacements nécessaires, en usant de tactiques, en conseillant, en dénonçant le jeu trop personnel, etc... Et si on essayait de rejoindre l’esprit des origines dont parle Paul Tihon, en mettant l’accent sur une vie de communauté au service de l’humain selon l’intuition de F. Glory, on comprendrait mieux que le ministère est un service de cohésion. Au niveau du culte, le prêtre ne serait pas le président d’une célébration, mais celui qui est attentif au partage des rôles, comme un entraîneur, à ce que ce ne soit pas toujours la même personne qui préside. Le prêtre ne serait pas celui qui monopolise la parole mais fait en sorte qu’elle circule. Non à l’ordination d’hommes mariés qui deviendraient des spécialistes du sacré sous une forme liftée, mais oui à des communautés qui se choisiraient des entraîneur(e)s qui les aideraient à progresser dans le service de l’humain. Pour sortir du cléricalisme, il faut d’abord faire son deuil du sacré… un travail de longue haleine. (Philippe Liesse, diacre permanent) »

Quelques jours plus tard, notre 3e chaine TV diffusait un reportage intitulé « Une femme prêtre. La passion selon Myra. » Celles et ceux qui l’ont regardé sont unanimes pour en saluer la qualité, dont Philippe de Briey qui le commente sur son site.(1)  Ce qui m’a le plus frappé dans ce reportage qui met en scène deux femmes prêtres (Mary, curé d’une paroisse de Rochester, état de New York, et Myra qui vient d’y être ordonnée prêtre), c’est l’insistance sur la "fonction" de ces prêtres. Ce qui a été déterminant dans la "vocation" de Mary, par exemple, c’est la demande que lui adressaient des femmes de la paroisse de pouvoir se confesser à une femme… Et le reportage qui dure plus d’une heure ne les montre presque jamais à l’autel pour l’eucharistie. Du "sacré" vers le "relationnel" ? Ce beau film joint au courrier de Paul Tihon me rappelle la réflexion d’un délégué hollandais lors d’une rencontre internationale des prêtres mariés en 2005 : s’inspirant de l’image du "pasteur", il décrivait le prêtre comme un "compagnon de route". (2)  La clé d’un avenir pour les communautés chrétiennes reste toujours la même : sortir du cléricalisme, c’est rejeter le lien entre le sacré et la responsabilité.

1. https://reli-infos.be/film-une-femme-pretre-dans-lÉglise-catholique-scandale-ouacte-prophetique/  Il y aurait plus de 300 femmes prêtres catholiques aux USA.

2. Hein DE JONG, Le renouvellement du ministère dans l’Église du Christ, http://www.pretresmaries.eu/pdf/fr/623-Renouvellement_du_ministere.pdf

 

 

 

La lettre de H.L.M. septembre 2019

Des nouvelles de quelques groupes

Plusieurs articles de ce bulletin évoquent l’espoir que le prochain Synode sur l’Amazonie qui se tiendra à Rome en octobre prochain ouvrira enfin un certain nombre de portes cadenassées depuis si longtemps, et en particulier le verrou du célibat imposé aux prêtres de rite latin… Leonardo Boff est revenu à plusieurs reprises sur cette actualité pour tenter de partager sa conviction que le synode sera bien un synode d’ouverture.(1) Nous n’en écrirons rien ici, pas plus que sur les arguments rappelés dans notre lettre précédente (2), mais nous sommes heureux de pouvoir partager quelques nouvelles des groupes de prêtres mariés dans les pays voisins et avec qui nous avons cheminé pendant tant d’années.

Vocatio a tenu sa rencontre annuelle à Rome à la fin du mois de mai dernier et de l’avis de plusieurs observateurs en Italie, ce fut l’occasion d’une véritable relance du mouvement des prêtres mariés avec des membres plus jeunes. Dans la première communication, le président Rosario Mocciaro a suggéré qu’il serait peut-être temps pour les prêtres mariés de « sortir de l’exil » où l’église les avait envoyés, et où certains ne se sentaient peut-être pas si mal… Après 40 ans de silence mais aussi de prudence et parfois même de culpabilité, la question est peut-être opportune : ne devrions-nous pas prendre nous-mêmes des initiatives pour aller à la rencontre des attentes de réforme du pape François et de l’immense majorité des croyants ? Les autres conférences et débats de ce week-end ont porté sur la place des femmes, sur celle des laïcs en général, sur l’évolution de la notion de Peuple de Dieu depuis Vatican II, mais aussi sur des questions de droit, de psychologie, etc…(3)

En Allemagne, la Vereinigung katholischer Priester und ihrer Frauen a tenu son assemblée annuelle en mars dernier à Wiesbaden et a marqué un grand intérêt pour la préparation du Synode sur l’Amazonie en faisant circuler un document très riche du théologien Paulo Suess (4). L’originalité des informations est sans aucun doute le parallélisme que suggère le président Hans-Jörg Witter – qui fut lui-même missionnaire en Amérique latine – avec le processus synodal mis en chantier par l’épiscopat allemand. Cela donne à rêver…

D’autres associations continuent de se réunir et de nous informer de leurs actions, comme le groupe français Plein-Jour (5) qui vient de tenir sa rencontre annuelle à Paris le 22 juin. Comme son homologue suisse Zöfra, c’est un groupe particulièrement dédié à l’écoute et à la défense des compagnes de prêtres, mais il compte aussi bon nombre de prêtres mariés qui ont fait le choix de rejoindre leurs compagnes. Le livre de témoignages (6) publié en 2017 a déjà été vendu à plus de 700 exemplaires. Il a décidé de renforcer ses liens avec l’association des enfants de prêtres.

Les Enfants du silence

C’est le nom de l’association française des "enfants de prêtres" créée il y a quelques années et qui avait publié un petit recueil de témoignages bouleversants.(7) Jean Combe rappelle dans un récent article de Golias-Hebdo (8) qu’on les appelait "les enfants du péché"… Et bien ces Français viennent d’innover sur le terrain.(9) Le 19 juin dernier, un documentaire sur les enfants de prêtres de la journaliste Karine Le Loët a été diffusé sur France-Culture, dans le cadre de l’émission Les pieds sur terre. Et Le Monde a consacré un article à une réunion tenue le 13 juin entre trois membres de l’association et des évêques. Une rencontre à la plus haute valeur symbolique, tenue à huis clos, qui marque la reconnaissance par l’Église de ces hommes et de ces femmes après des siècles de déni et de mensonge. « L’institution religieuse a enfin ouvert ses portes », déclare Anne-Marie Jarzac, présidente de l’association (qui compte une soixantaine de membres) et elle-même fille d’un prêtre et d’une religieuse. « Nous n’avons pas encore été reçus au Vatican, mais c’est un grand pas en avant ». L’archevêque de Bourges, Jérôme Beau, et sa commission chargée des questions relatives à la formation et à la vie des prêtres (CéMoLeme) ont accueilli la délégation au siège de la Conférence épiscopale française.

La rencontre a duré environ deux heures et a permis aux enfants de prêtres de parler de leur vie et de leurs souffrances : « Cela s’est déroulé dans un climat de confiance, avec une écoute bienveillante. Nous avons ressenti le désir de travailler ensemble pour que ces drames ne se reproduisent plus », explique la présidente. La réunion a également été une surprise pour Mgr Beau : « C’était la première fois que je rencontrais des enfants de prêtres, dit-il. J’ai découvert combien l’inconscient collectif leur a pesé. Cette rencontre est importante car elle leur permet de se redonner confiance et d’être fiers de leur histoire. Il ne s’agit pas seulement d’une question de reconnaissance, mais du démarrage d’un travail commun qui se déroulera avec cinq objectifs, explique l’évêque : une réunion pour expliquer les difficultés rencontrées avec la hiérarchie ; la désignation d’un interlocuteur interlocuteur dans chaque diocèse, vers qui hommes et femmes, fils de prêtres et de religieux, peuvent se tourner ; l’accès aux archives ecclésiastiques afin de pouvoir retrouver leurs origines ; l’accompagnement social, humain et psychologique pour eux et leurs parents, afin de permettre à chacun d’accepter, humainement, spirituellement et psychologiquement, cet aspect de leur existence ; enfin, la poursuite de ce "travail commun". »

La prochaine réunion aura lieu le 1er octobre. L’ordre du jour concerne l’ouverture des archives : « C’est un thème très important, souligne Anne-Marie Jarzac, car jusqu’à présent, les enfants des prêtres n’y avaient pas accès. Les travaux menés en collaboration avec l’association nous permettront d’élaborer une charte avec des consignes concernant le comportement à suivre si un prêtre a un enfant. »

« Le Vatican a déjà son propre document interne, jamais publié, de 2009, reconnaît l’évêque. Mais cette "grille comportementale" française est nécessaire car elle a été élaborée avec les intéressés. »

Allez, on avance…

 1. www.redescristianas.net/buena-noticia-habra-sacerdotes-casadosleonardo-b...

 2. On peut trouver les archives des "Lettres de HLM" sur le site de l’association : http://www.hors-les-murs.be/ . Sur ce sujet du synode pour l’Amazonie, un certain scepticisme est aussi partagé pas Golias-Hebdo dans son n° 582 du 27 juin 2019.

 3. Les textes des conférences sont en accès libre sur http://www.vocatio2008.it/

 4. Paulo SUESS, Von Medellin zur Amazonassynode. Stichworte zu neuen Wegen der Evangelisierung : n’existe pas en ligne, on peut le fournir à qui le demande…

 5. https://plein-jour.eu/wordpress/

 6. 72 compagnes de prêtres témoignent, éd. Golias 2017. Voir http://www.paves-reseau.be/revue.php?id=1506

 7. Douze enfants de prêtres témoignent, éd. Livres en Seyne 2017. Voir http://www.paves-reseau.be/revue.php?id=1508

 8. Golias-Hebdo n° 580 du 13 juin 2019

 9. La suite de cet article est largement inspirée de celui de Ludovica EUGENIO dans Adista News n° 24 du 29 juin 2019 : https://www.adista.it/articolo/61563 

 

La lettre de H.L.M. juin 2019

Pour ne pas se tromper de "prêtres mariés"

Nous avions consacré notre dernière lettre aux remous suscités par les paroles du pape François à son retour des JMJ et qui semblaient bien donner un coup de frein à des réformes attendues par beaucoup, en particulier concernant les prêtres mariés : le pape reconnaissait que c’était « une chose en discussion entre théologiens, mais que son "opinion personnelle" était de dire "non" à l’idée d’un célibat "en option". […] Je ne le ferai pas, que cela reste clair. Je peux peut-être sembler fermé là-dessus, mais je ne me sens pas paraître devant Dieu avec cette décision. » Il n’en fallait pas plus pour que le nombre d’articles et de livres autour de cette question ne cesse d’augmenter, chacun apportant sa petite pierre au débat, comme pour prouver qu’une démocratie "par opposition" peut sans doute être utile pour faire mûrir une question. Devons-nous encore nous mêler de ce débat auquel tout le monde semble vouloir prendre part, plusieurs de nos évêques continuant d’ailleurs d’exprimer haut et fort leur attente d’une ouverture dans ce domaine ? Nous pensons que oui, dans la mesure où nous ne souscrivons pas à leur argumentation.
Car il y a forcément plusieurs manières d’aborder cette question, liées aux raisons qu’on invoque pour produire cette réforme. L’argument qui est le plus souvent évoqué serait d’ordre pragmatique voire stratégique. Beaucoup s’attendent à ce que le prochain synode sur l’Amazonie qui doit se tenir en octobre à Rome ouvre une porte à l’ordination d’hommes mariés pour des territoires reculés, là où la pénurie de prêtres est telle que les chrétiens ne peuvent participer à l’eucharistie que très rarement. Dans ces cas de manque, on pourrait donc recourir à des "exceptions" : on ordonnerait prêtres des hommes mariés, diacres ou catéchistes ou animateurs de communautés, parce que les prêtres célibataires font défaut, et uniquement pour cette raison…
Tolérer des exceptions, voire même les programmer, cela n’a rien à voir avec une réforme, cela n’aurait même pas besoin d’un synode puisque c’est la même solution qui avait été trouvée il y a tout juste 10 ans pour permettre à des prêtres anglicans mariés de devenir prêtres catholiques en guise de "prime à la conversion"…! Dans la foulée de ce que nous affirmons depuis plus de 40 ans dans nos groupes de "prêtres qui ont dû quitter le ministère pour cause de mariage", il nous revient d’emboîter le pas à toute la discussion qui se renouvelle bien ces derniers mois, d’aider à remettre les pendules à l’heure, de dire tant au café du commerce qu’à nos évêques soucieux d’ouverture et au pape François lui-même que nous ne partageons pas leur manière d’aborder la question. Résumons-nous en trois points.
1. Le concile Vatican II avait bien commencé à réarticuler le "ministère sacerdotal" et le "sacerdoce baptismal", mais sans pouvoir aller au bout de sa logique, et il semble que ce chemin de recherche ait été systématiquement boycotté par les papes Jean-Paul II et Benoît XVI. Pas mal de livres paraissent là-dessus ces derniers temps, en lien plus particulier avec la condamnation du "cléricalisme" et des abus de pouvoir des prêtres. Citons celui du jésuite autrichien Elmar Mitterstieler (1) , proche du cardinal Schönborn, quelques articles de théologiens assez connus (2), ainsi qu’une conférence de Charles Delhez à l’UDA – L’Église, un système qui s’effondre – qui circule sur internet et qui, paraît-il, devrait être publiée sous peu dans la Revue Nouvelle.
2. Ce n’est pas "par défaut" qu’il faut souhaiter des prêtres mariés, mais pour qu’on connaisse enfin un autre type de "prêtre", qui partage "la condition commune", celle des baptisés, mais aussi leur vie professionnelle, familiale, etc... et donc aussi les dimensions essentielles d’une vie affective et sexuelle que l’Église a tellement méprisée depuis si longtemps : "vivre la condition commune", c’était l’argument primordial de Pierre de Locht. Non plus des "séparés", dans une caste à part, hommes "du sacré". Relierait-on à cet argument celui d’une pratique plus "démocratique" privilégiant la participation aux décisions, y compris via des procédures d’élection ? Il nous paraît difficile d’accepter aujourd’hui qu’une "égale dignité" du baptême ne produise pas des droits en proportions égales… Et bien entendu sans discrimination de genre !
3. Le troisième argument s’inspirerait de la pratique des Églises orientales. On a vu lors d’un récent synode sur l’eucharistie que les évêques orientaux ne soutenaient pas l’évolution vers un célibat "optionnel". Pour quelle raison ? Des commentateurs ont dit que c’était parce qu’ils connaissaient chez eux un clergé "à deux vitesses", littéralement : les prêtres mariés, ceux qui partagent la "vie commune" au coeur des paroisses, et les prêtres célibataires (généralement des moines, parfois des profs de théologie), mieux considérés et surtout les seuls à pouvoir devenir évêques... Nous pensons que ce double clergé (bas-clergé et haut-clergé) imaginé également dans la préparation au synode pour l’Amazonie, mais qui est aussi à la base du modèle préconisé par Lobinger (3) qui distingue entre prêtres "corinthiens" (locaux, mariés, choisis par la communauté, voire à temps partiel...) et prêtres "pauliniens" (célibataires, relais entre communautés, lien avec l’évêque, formateurs, consacrés à temps plein...) – modèle connu et cité par le pape François – nous pensons que cette "ouverture" comporte aussi un risque de "dévaluation" d’un clergé marié de seconde classe par rapport au clergé célibataire qui resterait ainsi aux commandes…
Bref, s’il nous semble évident qu’il faut lever l’obligation du célibat pour quelque ministère ordonné que ce soit, il est aussi très clair que cette mesure est loin de suffire à restaurer la confiance, la participation et une fidélité plus grande aux intuitions de Jésus telles qu’elles apparaissent dans les évangiles. Ce qu’il s’agit d’affronter courageusement, c’est la conception qu’on se fait du prêtre, de son "identité" et de son rôle, comme vient de l’exprimer clairement un groupe de prêtres des diocèses de Cambrai, Lille et Arras. (4) Nous ne manquerons pas d’y revenir !

1. Elmar MITTERSTIELER, Tous, prêtres, prophètes et rois ! Vivre enfin l'égale dignité de tous les baptisés, Éd. Médiaspaul, 2018, 179 pages. Avec une préface chaleureuse et engagée d’Albert Rouet !

2. Ainsi par exemple Sacerdoce baptismal et ministère presbytéral, par Anne-Marie PELLETIER dans le dernier n° des Études, juin 2019, pages 63-74. Plus violent, le dossier réalisé par Pascal JANIN et Paul FLEURET, Le kidnapping du sacerdoce par les clercs, dans le n° 185 de Golias-Magazine, mars-avril 2019, pages 6-23. Voir aussi les textes de la Conférence des Baptisés, et les derniers livres de Véronique MARGRON ou de Christine PEDOTTI cités ailleurs dans notre bulletin de juin 2019, etc.

3. Fritz LOBINGER, Qui ordonner ? Vers une nouvelle figure de prêtres. Ed. Lumen Vitae 2008, 123 pages. Voir notre présentation par José LHOIR sur www.pavesreseau.be/revue.php?id=678 Ce modèle a aussi les faveurs de Charles DELHEZ qui le cite dans le document évoqué mais sans partager nos réticences.

4. https://actu.fr/societe/region-une-lettre-ouverte-7-pretres-revolutionne...

 

La lettre de H.L.M. mars 2019 

François et le célibat

Nous avons entendu ce que le pape François a dit dans l’avion pendant son retour des JMJ vers Rome, qu’il n’autoriserait pas le célibat optionnel pendant son pontificat, que ce n’était pas son intention actuellement ; ainsi que ses allusions à la proposition de l’évêque Fritz Lobinger qui suggère qu’on envisage d’autres ministères ordonnés ; mais François concède qu’il "pourrait être intéressant" d’ordonner des hommes mariés, mais que cela ne pourrait être qu’une exception pour des régions reculées ; il précise aussi que ce ne serait "que pour célébrer la messe, le sacrement de réconciliation ou l’onction des malades", ce qui réserve bien sûr tous les autres "pouvoirs" au clergé…
Ces paroles ont créé la surprise car plusieurs de ses interventions précédentes avaient laissé entrevoir un peu plus d’ouverture sur cette question ; et nos évêques belges, Jozef De Kesel en 2010 déjà, et Jean Kockerols au synode de 2018, s’étaient exprimés clairement pour l’ordination d’hommes mariés. Les réactions ne pouvaient manquer.1 Certaines nous réjouissent2, quelques autres nous inquiètent fort3, sans trop nous surprendre d’ailleurs.
Des commentateurs4 disent comprendre que le pape veuille faire la différence entre deux choses : ce qui est en train de se préparer et qui sera discuté et sans doute approuvé au synode sur l’Amazonie et qui concerne l’ordination de personnes (seulement des hommes…) qui ont fait leurs preuves dans des communautés vivantes et coresponsables, et qui pourraient collaborer avec les prêtres actuels, travailler de concert avec eux dans les diocèses, d’une part ; face à ce que beaucoup attendent et qui serait une abolition de la règle, que "les prêtres puissent se marier", d’autre part… D’autres articles devinent la volonté du pape de "préserver" en quelque sorte le clergé célibataire actuel, en particulier en ces temps difficiles où les scandales d’abus sexuels sur les enfants et sur les religieuses ne cessent de venir ternir l’image des prêtres ; une sorte de navigation entre courants contraires, réformer et partager une part de responsabilités avec les laïcs d’une part, ne pas perdre la confiance des prêtres et des évêques en fonction aujourd’hui, d’autre part. C’est sans doute cette même réserve qu’il fallait décoder dans l’attitude des évêques, en particulier les orientaux, lors du synode de 2005 qui ne pouvaient pas feindre d’"ignorer" l’existence d’un double clergé marié et célibataire. Les prêtres mariés savent bien de quoi je parle et se souviennent sans doute de la réaction de certains de leurs confrères : "et moi alors, qui ai fait tant d’efforts depuis tant d’années pour tenir le coup…" La perspective d’un "double clergé" que suggère Lobinger ne serait sans doute pas plus facile à gérer si elle ne s’accompagnait pas d’une révision en profondeur du rôle du prêtre dans la communauté.
Une autre lecture encore a attiré mon attention, celle qui explique l’attitude du pape par son itinéraire personnel : Bergoglio est jésuite, et il est censé vivre son "voeu" de chasteté dans le célibat comme tous les religieux, ce qui n’est pas le cas du "clergé séculier" même si ce dernier s’est vu imposer l’état de vie des premiers, surtout depuis le concile de Trente. Sur cette distinction entre une "fonction" et un "état de vie", dont le concile Vatican II avait esquissé les tout premiers pas, on a bien reculé à partir des années ’80. Et curieusement ce "formatage" du clergé séculier sur le modèle des religieux s’est accompagné d’une séparation plus nette de la formation théologique des clercs et des laïcs : après quelques tentatives de formation commune, et particulièrement aussi la fermeture du séminaire Cardijn, les séminaristes des diocèses francophones de Belgique sont dorénavant tous regroupés au séminaire de Namur…
Ne renonçons pas à "rêver" d’une Église transparente et fraternelle… Peut-on espérer que l’Esprit soufflera un vent favorable sur le prochain synode pour l’Amazonie ? Notre ami Mauro, membre italien de Noi Siamo Chiesa, et qui est le seul participant non latino-américain invité dans l’équipe de préparation d’Amerindia, insiste beaucoup pour que nos groupes européens fassent pression sur Rome pour pouvoir mettre en oeuvre ici aussi les mêmes réformes que celles qui seront prises pour l’Amazonie. Comment… ?

1 Lire p.ex. le communiqué de notre groupe frère espagnol, le MOCEOP, sur www.pretresmaries.eu/fr/Actualites.html#604
2 Comme celle de Charles Delhez par exemple, dans La Libre du 30/01/2019. À la suite du nombreux courrier reçu, il a synthétisé sa position qu’on trouvera sur : www.paves-reseau.be/revue.php?id=1606
3 Comme celle de J.P. Denis dans La Vie. La Croix s’est révélée bien plus nuancée.
4 C’est ce que pense Emilia Robles de Proconcil : sa position est publiée sur notre site www.pretresmaries.eu

 

La lettre de H.L.M. décembre 2018

Les abus sexuels

Depuis plusieurs mois, il ne se passe pas un jour sans que la révélation d’un nouveau scandale de pédophilie d’un membre du clergé vienne ébranler un peu plus le reste de crédibilité de l’institution "Église catholique". Tous les pays semblent touchés, en tout cas là où l’information circule assez librement, ce qui n’est pas forcément une garantie que les problématiques soient bien posées ni qu’on n’échappe à quelques manipulations.

En l’occurrence, il fallait s’attendre à ce que les médias nous interpellent une fois de plus sur un lien éventuel entre ces abus et l’obligation du célibat pour les prêtres de rite latin.(1)  Comme le laisse entendre ci-dessous Jean-Marie Culot dans ce qu’il qualifie lui-même de "séquence personnelle de parfaite mauvaise foi", les motivations des évêques eux-mêmes ne sont pas toujours bien nettes quand, dans leurs discours, ils utilisent systématiquement la séquence « abus sexuels – pénurie de prêtres – question du célibat ». La communication du cardinal Marx est particulièrement claire à ce sujet.(2)   L’assimilation est d’ailleurs faite par le pape François lui-même en convoquant les présidents de toutes les conférences épiscopales nationales pour un sommet au Vatican en février prochain : à l’ordre du jour un traitement coordonné des abus sexuels du clergé, mais aussi dès lors la question de la formation des prêtres à une vie affective et, peut-être en guise d’amorce au synode d’octobre prochain, la question de l’obligation du célibat.

On ne s’étonnera donc pas que des groupes de prêtres mariés un peu partout dans le monde se soient manifestés ces dernières semaines. Car deux attitudes sont possibles :
- soit profiter des circonstances pour occuper le terrain et ne pas laisser dire n’importe quoi à propos des prêtres mariés… voire même tenter d’élargir le questionnement à la dimension des ministères féminins. C’est le choix d’une stratégie, on pourrait dire que c’est un choix "politique".
- soit refuser de tomber dans ce que l’on peut considérer comme un piège de plus parce qu’on pense que c’est la communauté qui est tout entière baptisée, et donc aussi qu’elle est tout entière "ministérielle" et que ce n’est pas d’en haut ni d’ailleurs qu’elle doit attendre l’envoi de ses animateurs ou animatrices, pasteurs ou pasteures. C’est le choix d’une "conviction". 
La question reste de savoir s’il faut absolument choisir entre ces deux attitudes ou si une troisième voie plus souple est possible… On trouvera sur notre site www.pretresmaries.eu des positions assez variées selon les pays, les cultures, les personnes aussi. Ainsi, nos amis italiens de Vocatio ont choisi d’écrire au pape et aux évêques pour les assurer de leur disponibilité :
« Nous ne comprenons pas le refus de réadmettre au ministère ceux d’entre nous qui ont donné une belle preuve de maturité, de sagesse, d’engagement envers l’Église et de capacité à diriger une famille. […] Certains d’entre nous n’ont pas l'intention de revenir à l’état clérical, mais beaucoup voudraient mettre leur charisme presbytéral au service des communautés. »
Le groupe allemand Vereinigung katholisher Priester und ihrer Frauen a fait de même en rappelant la demande du pape François que les évêques locaux lui fassent des propositions :
« On nous a traités de manière diffamatoire de "renégats", alors que la hiérarchie catholique couvrait des milliers de cas d’abus sexuels et de relations secrètes, hétérosexuelles ou homosexuelles, de prêtres et d’évêques. En tant que "parias", beaucoup d’entre nous ont été abandonnés dans un profond désespoir qui a causé des dommages moraux, psychologiques et existentiels irréparables. […] "L’orgueil précède la chute". La défense arrogante de la loi du célibat et une morale sexuelle rigide face à une réalité souvent façonnée par l’hypocrisie montrent clairement à quel point ce proverbe correspond à la situation actuelle de la hiérarchie catholique. Nous sommes convaincus que ce serait un premier pas vers la perception de soi et l’acceptation de la réalité humaine que d’abolir immédiatement le célibat en tant que loi ou de prendre des mesures concrètes en vue de son abolition dans les diocèses allemands. » (3)
On pourrait citer pas mal d’autres démarches, en Europe mais aussi aux USA, en Australie, ou à la Fédération latino-américaine des prêtres mariés… Curieusement, les pays d’Afrique et d’Asie ne sont pas à l’unisson : peut-être faut-il admettre des solutions diversifiées en fonction des cultures ?

Le célibat

À supposer donc qu’on aille à moyen terme vers l’autorisation pour des hommes mariés de devenir prêtres, les évêques interpellés précisent pourtant avec une belle assurance qu’il ne sera pas question … que des prêtres puissent se marier ! Oui à des hommes mariés qui deviennent prêtres, mais non à des prêtres qui voudraient se marier… Si vous leur demandez pourquoi cette différence, vous n’aurez jamais d’autre réponse que celle de l’usage, en particulier celui des Églises d’Orient qui continuent d’ailleurs de n’ordonner évêques que des célibataires. L’histoire n’est pourtant pas aussi univoque qu’ils le prétendent, mais là n’est pas le problème. Reviennent alors sans surprise les arguments traditionnels autour de la disponibilité, non seulement matérielle mais aussi spirituelle.
Et on aura beau batailler, il faudra sans doute attendre encore longtemps pour que nos églises chrétiennes parviennent à surmonter leur phobie de la sexualité et considèrent le mariage de manière strictement positive, sans arrière pensée. Qu’elles acceptent enfin qu’on puisse se marier par amour et non par vocation baptismale, comme dit Jean-Marie Culot dans l’article qui suit…
On devine sans peine que les racines de cette supériorité du célibat sur le mariage étaient bien présentes déjà dans la pensée de saint Paul : « Je voudrais bien que tous les hommes soient comme moi ; mais chacun reçoit de Dieu un don particulier, l’un celui-ci, l’autre celui-là. Je dis donc aux célibataires et aux veuves qu’il est bon de rester ainsi, comme moi. Mais s’ils ne peuvent vivre dans la continence, qu’ils se marient ; car il vaut mieux se marier que brûler. » (1 Corinthiens 7,7-9).  Le mariage n’est jamais qu’une concession à votre faiblesse…
Mais ce que cette perception des choses a produit est plus sournois encore : en autorisant la succession du mariage vers l’ordre et en interdisant la succession de l’ordre vers le mariage, c’est la valeur de deux sacrements que l’on compare et non seulement deux états de vie. Comment justifier que le sacrement de l’ordre, qui est la sacralisation même du service des autres, ait pu devenir le sommet de la pyramide sacramentaire et du pouvoir ?

Le service ministériel

Oui, c’est un pléonasme. Mais peut-être n’est-il pas tout à fait inutile de rappeler que les ministères ne sont rien d’autre que cela, et que le seul mariage ne suffira sans doute pas à faire disparaître toute velléité de séparation, de supériorité, d’identité particulière… : il n’est pas sûr que les viri probati (ni les mulieres probatae le jour où elles existeraient) se contenteraient d’une place ordinaire dans la condition commune de tous les membres du Peuple de Dieu… On retombe opportunément sur la dénonciation du cléricalisme, bien identifié par beaucoup et par le pape François en premier, mais pas toujours dans toutes ses conséquences. Relisons donc quelques bonnes pages sur le sujet, celles d’Ignace Berten plus haut dans ce bulletin (4) , ou la remarquable analyse de Danièle Hervieu-Léger (5) qui se termine ainsi :
« Le "système clérical", auquel on impute désormais les dérives gravissimes qui explosent au grand jour, n’est pas réformable. Or c’est ce système même qu’il faut déconstruire si l’on veut inventer, si c’est possible, une autre manière de faire Église. Celle-ci ne peut plus séparer la redéfinition radicale du sacerdoce comme service de la communauté et la reconnaissance pleine et entière de l’égalité des femmes dans toutes les dimensions, y compris sacramentaires, de la vie de l’Église. L’invitation faite aux prêtres d’être proches de leurs ouailles, la place faite à quelques femmes dans les instances du pouvoir, et même l’ouverture de l’ordination à quelques hommes mariés dûment sélectionnés ne conjureront pas le désastre. La question qui est sur la table est celle du sacerdoce de tous les laïcs, hommes et femmes, mariés ou célibataires selon leur choix. Une seule chose est sûre : la révolution sera globale ou elle ne sera pas, et elle passe par une refondation complète du régime du pouvoir dans l’institution. »
Nous ne pourrions être plus clairs. Et inviter les lecteurs à approfondir ce diagnostic (6).  La réforme doit être globale, ou elle n’aura servi à rien.

(1) J’ai donné mon opinion dans La Libre du 17 octobre dernier : http://www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#597  (Pierre Collet)
Voir aussi l’article sur l’ordination des femmes le 22 novembre.
(2) "Des paroles pour dire notre inquiétude ne suffisent pas, nous devons agir" : https://www.n-tv.de/panorama/Kardinal-Marx-fordert-Debatte-ueber-Zoeliba...
(3)  http://www.pretresmaries.eu/fr/Actualites.html#585
(4) pages 32-33. Et J.M. CASTILLO dans notre bulletin de septembre dernier : http://www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#601
Voir aussi Ramón ALARIO, La racine, c’est le cléricalisme, idem.
(5) Dans Télérama du 14.11.2018, repris sur le site de Dieu maintenant : http://www.dieumaintenant.com/pedophiliedansleglise.html
(6) Il convient de citer aussi la très belle série de cinq articles publiés par Jacques MUSSET dans Golias Hebdo en novembre et décembre 2018, n° 550 à 554. 
 

 

Le Lettre de H.L.M. septembre 2018

 

C’est certainement d’humilité que nous avons besoin aujourd’hui : dans l’Église catholique en tout cas, après l’Australie, le Chili et la Pennsylvanie et l’invraisemblable déferlante de révélations sur la pédophilie de centaines de prêtres, la manipulation criminelle de tant d’évêques pour sauver les apparences, les tergiversations du pape François lui-même.... Nous imagi-nions avoir vécu le pire dans notre pays en 2010 et nous pensions nous en être sortis sans trop de mal. Mais voilà plus de 25 ans que ça dure, et la nausée gagne les plus patients. Les déclarations de tous bords font l’affaire des médias, souvent sans nuances. Les groupes et réseaux dont nous sommes proches ont pris la parole à ce sujet. On vous y renvoie.
Les analyses incriminent souvent de manière très univoque un célibat non choisi et mal assumé, comme par exemple pour l’écrivaine Nancy Huston, dans Le Monde.  Globalement d’accord, les groupes de prêtres mariés qui participent à nos réseaux avaient déjà travaillé cette question, de manière fine et nuancée.   Plus globale, l’analyse faite par Jean Lavoué ciblant aussi comme terreau d’enracinement l’attitude de l’Église catholique vis-à-vis de la sexualité, nous semble pertinente.   Le mal est endémique, il ne date pas d’hier, le diagnostic ayant été clairement porté par le pape lui-même : « abus de pouvoir, abus de conscience, conduisant à des abus sexuels ».
Évêques, théologiens, psychologues, et tous les porte-parole depuis le plus haut des hiérarchies jusqu’aux plus petites associations, tous ont emboité le pas du pape François pour redire que le mal le plus radical de l’Église était le ‘cléricalisme’. Mais l’évoquer une fois de plus ne mène sans doute pas très loin si on ne prend aucun moyen concret pour le contrer. Nous avons choisi de traduire dans ce numéro un article du théologien espagnol J.M. Castillo qui demande avec insistance qu’on n’en reste pas aux constats, et qu’on en tire les conséquences : c’est la structure même de notre Église catholique qui divise le Peuple de Dieu en plusieurs ‘classes’ ou ‘castes’ qu’il faut changer. De la même veine, nous aurions pu relayer une analyse aussi remarquable d’une religieuse américaine sur la prêtrise : « Est-ce que la racine de ce péché d’orgueil produit par le cléricalisme ne se situerait pas au cœur même de la théologie de l’ordination et de l’affirmation que le prêtre agit in persona Christi ? » 
Tout le monde semble donc bien mettre directement en cause la structure de pouvoir. « Le type de gouvernance qui perdure en Église mène à un véritable suicide collectif » , affirme la Conférence des Baptisé-e-s Franco-phones. Et de suggérer dans une lettre au pape François la tenue d’un vrai ‘Concile du Peuple de Dieu’, et dans une autre lettre aux évêques de France la tenue de réelles ‘Assises’ nationales. Avec bien entendu « la participa-tion active de tous les membres de l’Église ». Il s’agit de faire en sorte que la place des laïcs soit enfin reconnue jusqu’au niveau des délibérations, des décisions, des nominations.  Une révolution, bien sûr.
Commentant la visite du pape en Irlande, Colm Holmes, président de We-are-Church-International suggère une étape intermédiaire : vu que le C-9 – les cardinaux qui conseillent le pape François – ne parvient  pas à l’éclairer de manière satisfaisante, ne faudrait-il pas le remplacer, ou tout au moins le compléter, par un L-9 composé de laïcs et majoritairement de femmes… ?
Les idées ne manquent pas dans tous les documents cités. Partageons-les !

 

 http://www.pretresmaries.eu/pdf/fr/575-Francois_arretez_le_massacre_.pdf
   C’était en 2010 : http://www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#339 
  http://www.dieumaintenant.com/leglisecatholiquepeutellerenonceraupouvoir...
   Nicole Trahan : https://www.globalsistersreport.org/column/horizons/evil-clericalism-553...
   Voir l’appel de son secrétaire M. Bouvard dans ce bulletin, et les lettres envoyées par sa présidente A. Soupa http://baptises.fr/sites/default/files/communique-de-presse
   Voir les Communiqués de Nous Sommes Aussi l’Église et des Réseaux du Parvis : https://nsae.fr/2018/08/24/sortir-du-clericalisme/
http://www.reseaux-parvis.fr/2018/08/24/communique-de-presse-suite-aux-r...

 

La Lettre de H.L.M. juin 2018

 

C’est une fois de plus de l’étranger que nous vient l’interpellation qui fera la matière principale de cette lettre. Du Brésil plus particuliè-rement, où devra se tenir en octobre 2019 un « synode sur l’Amazonie » qui abordera enfin, à ce plus haut niveau, la question des ministères. Mais les paradoxes ne manquent pas, une fois de plus, comme on va le voir ci-dessous…
À l’occasion d’une visite au site web de nos amis prêtres mariés brési-liens [1], j’ai pu prendre connaissance d’un texte très éclairant de notre ami Eduardo HOORNAERT commentant la lettre aux Hébreux : être prêtre ‘à la manière de Melkisédek’  n’a rien à voir avec la prêtrise au sens où l’entendaient les Juifs de l’époque de Jésus, ‘selon l’ordre d’Aaron’, et cette formule nous entraine à mettre radicalement en question le sens même d’une ‘ordination’, et dès lors d’un éventuel ‘caractère transmissible’. La controverse s’est immédiatement installée sur le site en question : il semble bien qu’une identité affirmée de ‘padre casado, prêtre marié’ ne puisse pas être contestée dans le MFPC au Brésil (Mouvement des Familles de Prêtres Mariés), et on me dit que ceux qui ne s’identifient pas comme tels ne participent plus aux rencontres de ce groupe. Quand donc en relisant les origines du christianisme, Hoornaert se permet de dire que ce n’est pas l’ordination qui fait le prêtre, mais que c’est la droiture de sa vie concrète, il ne pouvait que susciter la réprobation de tant de collègues convaincus du contraire et qui attendent avec une certaine impatience de pouvoir reprendre du service… João Tavares, le modérateur du site, appuie d’ailleurs sa conviction sur les autres groupes de prêtres mariés dans le monde : « C’est ce que j’ai vu à la Rencontre internationale de la Confédération des Prêtres Mariés à Madrid en 2015, à la réunion des délégués européens à Bruxelles en 2014 et récemment à la Fédération latino-américaine à Quito : la grande majorité d’entre nous continue de croire à la participation de notre sacerdoce au sacerdoce éternel de Jésus-Christ. » Non João, cette affirmation est un peu forcée : je pense au contraire qu’on est loin d’une unanimité là-dessus…
Eduardo Hoornaert répond : « On s’est habitué à travailler cette question d’une manière idéologique. Pour moi, il s’agit de percevoir la réalité historique, ce qui n’est pas facile à cause de cette ‘histoire de longue duration’ (comme disait Fernand Braudel), que nous appelons ‘Église Catholique’. Reconnaître que l’histoire est une science, voilà de quoi il s’agit. Ainsi que reconnaître que la linguistique est une science : la Bible de Bayard traduit le fameux terme grec ‘aparabatos’ de Heb 7,24 par ‘intransmissible’). Ce serait un plus si les participants des mouvements de prêtres mariés pouvaient étudier la Lettre aux Hébreux d’une manière sereine et sérieuse, dans une perspective laïque (qui est la perspective de Jésus de Nazareth). Ainsi, le mouvement pourrait contribuer à une discussion fondamentale en vue d’une vision réellement laïque de l’Église. Sans oublier l’évolution à partir du 4e siècle, quand on pose un ‘rideau’ ecclésiastique entre prêtres et laïcs, comme au théâtre entre la scène et la salle. » Encouragés par cette suggestion, nous vous proposons donc la traduction du travail de Hoornaert à la suite de cet article…
Et puis cette dernière semaine nous retrouvons dans Golias Hebdo un article de Paul TIHON qui apporte de l’eau à ce moulin de l’anticléricalisme. [2] Fidèle à ses positions déjà souvent exprimées, il rappelle à quel point il est urgent de compléter l’intuition de Vatican II qui avait tenté de remettre en valeur la notion de ‘Peuple de Dieu’ sans parvenir à la rendre opérante dans les faits. Une question de fidélité à la Bonne Nouvelle de Jésus. « Je propose de partir d’une évidence première : que le mot laïc est un terme foncièrement clérical. [3] Il sert à délimiter nettement la frontière entre l’immense majorité des baptisés et la petite minorité d’entre eux qui occupent dans notre Église catholique des positions de pouvoir. »
Continuons à le citer, tant ses propos sont éclairants :
– G.H. : Vous évoquez souvent la réalité des communautés de base comme source de renouveau de l’Église. Vous en faites partie vous-même […]
– P.T. : […] Le retour à l’essentiel est toujours difficile à atteindre et à traduire dans les faits. Car il s’agit bien d’une transformation de nos réflexes courants lorsque nous utilisons le mot ‘Église’. De ce point de vue, le fonctionnement des ‘communautés de base’ a quelque chose d’exemplaire. C’est toute l’assemblée des croyants qui prend les grandes décisions, même si elle confie certaines fonctions différenciées à tel ou tel membre de la communauté. […] Va dans ce sens la pratique qui consiste à confier les divers services non à une seule personne, qui risque d’en devenir le ou la spécialiste, mais à des équipes. De même la pratique selon laquelle les services sont confiés pour des périodes limitées, ce qui oblige l’assemblée à reprendre conscience périodiquement du fait que c’est elle-même qui en est responsable.
– G.H. : Une église composée rien que de laïcs donc ?
– P.T. : Je propose plutôt de disqualifier les termes de laïc, laïcat et de les bannir autant que possible de notre vocabulaire. Par contre, tout le langage de la coresponsabilité et de la participation mérite d’être utilisé. Mieux : tout ce qui va dans le sens de la cogestion mérite d’être mis en œuvre. Et commençons par la base, au risque de quelques tâtonnements, de quelques échecs. Dans la foulée, je propose de mettre au frigo le mot sacerdoce, emprunté au vocabulaire du sacré. Mais ceci est une autre histoire… »

[1] www.padrescasados.org/archives/67219/67219/

[2]  Golias Hebdo n° 530 du 31 mai 2018, pages 14-16.

[3]  Nous avions aussi traduit et publié en 2010 la remarquable prise de position de José ARREGI, Ni clerc ni laïc :. www.pretresmaries.eu/pdf/fr/385-Arregi.fr.pdf

 

La Lettre de H.L.M. mars 2018

 

Le récent voyage du pape François au Chili et au Pérou a remis sur la table le sujet pénible  de la pédophilie de certains prêtres (15 % dans certains diocèses, prétend le dernier rapport pour l’Australie…) : ce n’est évidemment pas pour le plaisir que nous revenons là-dessus, mais il y a peut-être des leçons à tirer de l’événement.
À force de s’en tenir à des généralités, même tout à fait pertinentes, et en refusant la moindre critique concernant l’évêque d’Osorno, la crédibilité du pape François en a pris un coup, d’autant plus que son ami le cardinal O’Malley de Boston ne lui apportait aucun soutien en la circonstance…  Les médias se sont déchaînés et nos propres réseaux ont embrayé : le Mouvement International Nous Sommes Église et le Réseau Européen Églises et Libertés ont exprimé leur soutien à la protestation.[1]  L’opinion publique commencerait-elle à jouer son rôle aussi dans l’Église catholique ? Dès la fin janvier en tout cas, le pape envoyait un émissaire au Chili pour réévaluer les positions… Quant au fond de la question, nous ne pensons pas devoir revenir sur l’analyse que nous avions publiée en 2010. [2]
En Belgique puis en Suisse, les évêques et les pouvoirs publics ont su réagir et mettre en place les structures adéquates face à cette réalité tout à fait scandaleuse, mais c’est loin d’être le cas chez d’autres voisins comme la France. Face au manque de volonté des épiscopats nationaux, le Vatican de Jean-Paul II et Benoît XVI s’était dès lors attribué une gestion centralisée des cas de pédophilie, puis François avait créé une Commission vaticane pour la protection des mineurs qui vient de finir son mandat de trois ans. [3[ On savait que cette Commission avait du mal à fonctionner, et que deux de ses membres les plus connus, les laïcs Peter Saunders et Marie Collins, avaient démissionné à cause des blocages, des lenteurs et des résistances rencontrées, et parce que les quelques propositions acceptées par le pape n’étaient d’ailleurs pas mises en application… On refusait par exemple de « concrétiser le projet d’un tribunal interne à la Congrégation de la Doctrine de la Foi pour juger les manquements des évêques dans la gestion des abus ». Une nouvelle Commission verra le jour en avril avec 8 membres anciens et 9 nouveaux. On sait aujourd’hui qu’un membre non retenu, la psychothérapeute française Catherine Bonnet, avait voulu démissionner en juin dernier parce qu’on refusait, entre autres, « d'inviter les victimes ou les groupes de soutien aux victimes pour donner leur avis avant ou pendant la réunion plénière de la Commission ». Il est plus efficace évidemment d’inviter les gens à partir – quand on ne les exclut pas tout bonnement – que de tenir compte de leur expertise au risque de se mettre en question… 
Une nouvelle perspective de décentralisation semble se dessiner après le dernier Conseil des cardinaux (C9), car il existe aujourd’hui 1800 cas d’abus sur mineurs en attente et que la Congrégation pour la doctrine de la foi se trouve dès lors « surchargée de travail »… Sans compter que les affaires sont complexes à traiter, selon la législation de chaque pays !
Nul besoin sans doute de s’étendre. Ce que tout cela nous démontre, c’est que le type de gouvernement de l’Église ne fonctionne pas bien, notamment dès que des autorités sont en cause. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de contre-pouvoir dans l’Église, parce que les clercs sont toujours entre eux e toujours convaincus d’avoir raison, parce que la survie des institutions compte infiniment plus que le sacrifice des personnes… Il est radicalement impossible et malsain d’être juge et partie, et la séparation des pouvoirs est quand même la meilleure formule pour faire fonctionner une société. Cette affaire, comme d’autres d’ailleurs, devrait être une bonne occasion de s’interroger sur le système monarchique et sur ses alternatives. Quand donc compren-dra-t-on que l’Église ne doit pas fonctionner comme une entreprise  mais comme une société civile, comme un État. Sûr que l’Esprit s’y retrouverait mieux...  Et bon courage à François pour fêter ses 5 années de pontificat !
Une dernière nouvelle plus souriante avec la sortie du film Created Equal. C’est l’histoire d’une jeune femme, Alejandra Batista, qui intente un procès à l’Église pour discrimination… pour pouvoir entrer au séminaire et répondre à sa vocation de devenir prêtre. Une bonne occasion d’approfondir quelques questions théologiques et juridiques, mais aussi sociales et éthiques. Le film a déjà remporté 7 prix aux USA. Et il paraît que le DVD est disponible. On en reparlera peut-être…

[1] www.en-re.eu/images/pdf/Declaration_commune.pdf
[2] www.pretresmaries.eu/pdf/fr/339-Pedophilie.2.fr.pdf
[3] Voir par exemple les articles de l’agence www.adista.it 

 

La lettre de H.L.M. décembre 2017

 

Deux sujets que nous avons coutume d'évoquer semblent préoccuper les autorités de l'Église catholique en ce moment : la formation des prêtres et l'accès des femmes aux ministères, plus précisément au diaconat. Un troisième sujet en devient le corollaire obligé, comme on verra : il concerne du coup... les laïcs !

Tout juste un an après que le pape François ait donné de nouvelles lignes directrices concernant la formation des futurs prêtres – dans la Ratio fundamentalis en décembre 2016 – , les épiscopats sont en pleine réflexion, voire déjà au travail, comme en témoignent la session d'automne des évêques français à Lourdes ou, chez nous, le contenu du dernier bulletin de l'archevêché Pastoralia. Qu'est-ce qui pourrait ou devrait changer ? Pour faire simple, le pape voudrait mettre l'accent sur la "pastoralité" des candidats à la prêtrise plutôt que sur la stricte observance de l'orthodoxie, qui pourrait cacher bien des fragilités humaines. "Si un prêtre n'est pas formé pour être un bon pasteur, toutes ses connaissances intellectuelles ne lui serviront à rien." Même si les idées de Bergoglio sur la prêtrise restent archi-classiques, par exemple à l'égard des éventuels can-didats gays, on ne niera pas que cette vision des choses relève du bon sens.

Difficile de s'empêcher pourtant de s'interroger : tous ces efforts réformateurs peuvent-ils encore servir à quelque chose... ? Le nombre total de sémina-ristes en France était de 662 en 2016, dont 25 % provenant d'autres pays et un sur six dans "l'archi-tradi Communauté Saint-Martin"[1]... En Belgique, Pastoralia [2] en compte 19 en ce moment même pour la partie francophone de l'archidiocèse, dont seulement 2 d'origine belge, toutes années confondues.

Quant à la réflexion sur le diaconat [3], en particulier féminin, elle se poursuit en attendant que la Commission romaine rende ses conclusions et que le pape François puisse tracer un chemin. Plusieurs publications récentes de Golias se sont intéressées à ce sujet et les évêques et théologiens interrogés indiquent plusieurs voies que l’on pourrait résumer en deux idées : d’une part, rien ne s’oppose à l’ordination de femmes pour le ministère diaconal ; mais d’autre part, cette problématique se révèle bien plus large parce que beaucoup de diacres d'aujourd'hui (masculins) ne correspondent plus au diaconat tel qu'imaginé à Vatican II, en particulier parce qu'ils sont utilisés en suppléance du manque de prêtres : avant d'inviter les femmes au diaco-nat, il faudrait en priorité repenser les ministères, et de fond en comble.[4]

On n'a par contre guère parlé chez nous de l'initiative des évêques brésiliens de consacrer toute cette année (liturgique) à "célébrer la présence et l'orga-nisation des laïcs, hommes et femmes chrétiens au Brésil, en tant que Peuple de Dieu; approfondir leur identité, leur vocation, leur spiritualité et leur mission; et témoigner de Jésus Christ et de son Royaume dans la société". On assure que les débats devraient porter en priorité sur les préoc-cupations des Églises locales. Nos amis français de Nous Sommes Église [5] ont relevé que plusieurs réseaux internationaux demandeurs de réforme soutenaient cette initiative, l'enviaient même, rêvant que l'épiscopat français ait un jour la même audace. Et en Belgique, à quand une "année des laïcs" ?

[1]  Communauté caractérisée par une relativisation affichée de Vatican II... Lire là-dessus Demain, plus de séminaristes ?, dans Golias-Hebdo n° 503 du 16.09.2017.

[2]  Pastoralia, n° 10, décembre 2017, p. 5.

[3]  Albert Rouet, Diacres. Une Église en tenue de service, Paris, Médiaspaul, 2016. Voir aussi son interview dans Golias-Hebdo n° 505 du 30 novembre 2017.

[4]  Lire l'article d'un théologien bien informé de ces questions et qui n'est pas du tout un franc-tireur : Michel Legrain, L'Église catholique appelée à fonctionner autrement ? in Golias Magazine,  n° 176, septembre-octobre 2017, pages 66-81.

La lettre de H.L.M. septembre 2017

 

À la dernière rencontre de Hors-les-Murs en juin dernier, nous nous sommes risqués à relayer la question que plusieurs groupes se posent autour de nous et qu'ils nous adressent avec un peu d'insistance : "quelle attitude adopter concernant une éventuelle évolution des règles d'accès aux ministères ?"

Les vacances étant un temps de découvertes et de rencontres, mais aussi un temps de lecture, deux livres[1] parus ces derniers mois m'ont accompagné, qui auraient pu fournir quelque éclairage sur ce questionnement. Je revien-drai une prochaine fois sur le livre d'Alphonse Borras qui mérite plus qu'une simple allusion dans cette lettre. J'ai abordé celui de Luc Forestier avec bienveillance, surtout pour son présupposé du titre au pluriel et pour son insistance sur la fonction de "vigilance" des ministères (p. 154s..), qui «implique bien plus de chrétiens que les seuls évêques. Bien des épisodes de l'histoire de l’Église catholique montrent à quel point ce sont des laïcs, des religieux, des religieuses qui ont été porteurs de cette vigilance chré-tienne ». J'attendais donc beaucoup de ses trois derniers chapitres à propos des "ministères confiés à des laïcs". Mais c'est finalement très décevant : pas seulement parce que la théologie utilisée est purement théorique, c'est un choix habituel et qu'on peut admettre, mais surtout parce qu'elle repose sur cet a priori, que c'est la dimension structurelle (et donc hiérarchique) qui commande les critères et les choix à opérer. J'avais cru comprendre du Concile que c'était au contraire le Peuple de Dieu qui était (re)devenu le lieu central et la base de toute réflexion. Pas étonnant dès lors que l'auteur ne fasse même aucune allusion à Albert Rouet ou à Fritz Lobinger, que nous avons souvent cités dans ces pages, à leurs recherches sur les ministères à partir de la vie et des besoins des communautés.

À la question posée ci-dessus, c'est certainement dans cette direction qu'irait donc ma réponse personnelle. Mais vous, qu'en pensez-vous ?

[1]  Luc Forestier, Les ministères aujourd'hui, Salvator, 2017, 206 pages et Alphonse Borras, Quand les prêtres viennent à manquer, Médiaspaul 2017, 206 p.

 

La lettre de H.L.M. juin 2017

 

Hors-les-Murs vient de tenir son Assemblée Générale 2017 ce dimanche 4 juin : même si nous avons renoncé à notre statut d’a.s.b.l., l’association vit toujours et continue d’entretenir les mêmes contacts, tant à l’extérieur qu’avec ses membres. Nous étions donc une bonne vingtaine pour échanger sur les activités de l’année écoulée, en particulier l’accompagnement de deux ‘sortants’, l’état des finances, les contacts institués en Belgique, les relations internationales… Et hors de toute contrainte administrative, nous avons donc eu des retrouvailles très amicales, très agréables, et nous n’avons manqué de rien à l’auberge espagnole ! Trois membres ont accepté la charge d’administrateurs de l’association pour l’année à venir, Marie-Astrid Lombard, Jean-Marie Culot et moi-même.

Sur la question de fond qui nous est renvoyée par plusieurs groupes en Belgique mais surtout à l’étranger, et qui concerne l’attitude à adopter par rapport à une éventuelle évolution des règles d’accès aux ministères,  voire notre responsabilité d’interpeller nos évêques sur ce sujet, il n’y a pas eu d’accord évident entre nous : la discussion reste ouverte et vous concerne tous, évidemment. À suivre au prochain numéro…

 

La lettre de H.L.M. mars 2017 

 

Vers des prêtres mariés au Brésil ?

À suivre les médias d'un peu près, il n'y a pas que de la polémique dans l'entourage du pape François qui semble avoir bien du mal avec ses collègues cardinaux. Il y a heureusement aussi quelques perspectives libératrices. Si on peut faire confiance à son ami Leonardo Boff en tout cas... Dans une interview qu'il accordait au Kölner Stadt-Anzeiger à Noël, Boff s’attend à ce que les ex-prêtres mariés soient réintégrés dans la pastorale. “Les évêques brésiliens l’ont formellement demandé au pape”, affirme l’ancien franciscain. Et il assure, d’après des informations provenant de l’entourage du pape, que ce dernier aurait la volonté de répondre positivement à cette demande, du moins pour une phase expérimentale au Brésil. “En même temps, il s’agirait d’une impulsion pour que l’Église catholique supprime le fardeau du célibat obligatoire”. Il continue de souligner ce manque de prêtres, notamment au Brésil, remarquant qu'“il n’est pas étonnant que les fidèles se rendent en masse chez les évangéliques et les pentecôtistes pour combler ce vide d’accompagnement spirituel”.

Ces informations semblent bien dans la ligne de la déclaration du pape François à l'évêque Erwin Kraütler en avril 2014 – "Vous, les évêques, soyez donc plus courageux, faites-moi des propositions concrètes!" – et ont été relayées par l'évêque Demetrio Valentini à Aparecida le mois dernier. Bien sûr, il est loin d’être acquis que les quelque 100 000 prêtres mariés dans le monde soient désireux de reprendre du ministère, loin de là, et certainement beaucoup moins en Europe qu’en Amérique latine. Mais quand on parle de cela dans les pays du Sud, on renvoie volontiers à la proposition de l'évêque Fritz Lobinger[1] que nous avons souvent évoquée ici et à laquelle le pape penserait aussi, d’ordonner des "prêtres de communautés", non plus une "caste" de professionnels "séparés" du peuple, comme c’est le cas du clergé aujourd’hui, mais des personnes qui ont fait leurs preuves dans l'animation de leur "communauté de base" tout en continuant leur métier et leur vie de famille.

ça bouge un petit peu en Europe…

La dernière livraison de l'agence italienne Adista revient sur tout cela à propos du Brésil, faisant remarquer que l'Europe ne s'est pas engagée plus loin que quelques belles paroles... avec de timides exceptions qui semblent à nouveau venir d'Allemagne : il y a eu en octobre cette pétition des laïcs du diocèse de Fribourg-en-Brisgau après le mariage de deux de leurs "jeunes" prêtres et qui a recueilli quelque 4000 signatures. Il y a eu aussi cette "lettre ouverte" de onze prêtres de Cologne[2] : ils assortissent leur demande de levée du célibat obligatoire, provoquant une solitude qui leur pèse de plus en plus avec l'âge, de 7 propositions essentielles dont leur refus des fusions de paroisses : « [...] la nécessité d’une langue qui soit à nouveau compréhensible aujourd’hui dans l’annonce du message biblique; [...] le besoin urgent de tentatives courageuses dans l’admission à l’ordi-nation : il n’y a aucun sens à continuer à prier le Saint-Esprit pour qu’il nous envoie des vocations presbytérales, et à exclure en même temps toutes les femmes de ces charges; [...] le besoin de lieux pour les communautés qui font l’expérience de la foi, c’est-à-dire l’Église centrée dans la paroisse locale. »  La même livraison de Golias-Hebdo cite aussi le témoignage d'un groupe de prêtres mariés d'Arras dans La Voix du Nord  en septembre dernier : ils se plaignent en particulier de la manière infantilisante dont ils sont traités et demandent un minimum de respect.

Une curieuse polémique vient de surgir en France à l’occasion de l’annonce du projet de mariage d’un jeune curé de 46 ans.[3] S’il n’est pas le premier, il est par contre très connu. « Son nom est David Gréa, mais chez lui à Lyon il est parfois appelé David Guetta. Parce qu’il est bel homme, qu’il est apparu sur Twitter en col romain et sabre laser façon Star Wars et qu’il ouvre chaque dimanche son église Sainte-Blandine au groupe Glorious qui joue de l’électro-pop-louange, une musique aux thèmes évangéliques avec guitare, basse, batterie et synthé. […] C’est une figure charismatique, ce qu’on fait de mieux en matière de réveil missionnaire. Une sorte de pasteur évangélique fait curé. Un entrepreneur de Dieu, un "leader" comme on en cherche partout sans en trouver assez. »  Son départ fait l’effet d’un cataclysme… Au point que le cardinal Barbarin lui a ménagé une entrevue avec le pape François dans l’espoir fou d’obtenir une exception : sans succès… Car voilà : David paraît tellement sûr de lui qu’il estime que c’est encore Dieu lui-même qui l’appelle, mais cette fois à vivre dans le mariage.  Levée de boucliers de ses collègues qui l’appellent à un peu plus d’humilité : « Un homme quitte sa femme. Une femme quitte son mari. Un prêtre quitte le sacerdoce. Situations devenues banales, mais souvent terribles pour le conjoint, la famille, la communauté délaissée. […] Des fidélités successives sont-elles encore des fidélités, sans parler d’une fidélité devant Dieu ? »

Vous avez dit "vocation"… ?

Mais quand donc en finira-t-on de faire endosser par Dieu ce qui concerne au plus haut point la liberté et la responsabilité humaines… ? Un article d'une clarté éblouissante de Jose Maria Castillo[4] titre d'emblée : « Jusqu'au XIIIe siècle, la vocation n'a pas été considérée comme un appel par Dieu, mais par la communauté ».  Il développe ce sujet sur base d'une étude du Père Congar en 1966... : « C'est la communauté qui choisit et nomme la personne que l'assemblée juge la plus apte à remplir cette charge... Il est grand temps de changer la législation actuelle et de renouer avec la pratique du vote et de l'imposition des mains des premières "églises". (Ac 14,23) » Le théologien poursuit sur le thème de la "perpétuité" du ministère qu'il met résolument en question sur base de « la pratique du premier millénaire concernant... les évêques et les prêtres qui s'étaient rendus indignes de leur fonction : ils sont mis à pied et à la rue...! Le "caractère sacramentel" a été inventé au XIIe siècle.» Castillo interprète donc ici la perpétuité au niveau canonique là où d'autres situent généralement la fidélité au plan moral. On aurait aimé bien sûr que l’histoire nous livre aussi d’autres exemples de non-perpétuité qui ne seraient pas forcément des sanctions pour des fautes commises…

C’est une question qu’on discute depuis si longtemps entre nous qu’il nous est difficile d’entendre le récent discours du pape François devant les délégués des religieux : « C’est la culture du provisoire qui aggrave cette saignée, et de citer en exemple un jeune diplômé engagé dans une paroisse qui avait confessé à son évêque vouloir devenir prêtre mais pour dix ans… » Plutôt que de se plaindre d’un contexte qui induirait ce genre d’attitude non définitive, ne serait-il pas sage de relire la Dynamique du provisoire du frère Roger de Taizé (1968)… ? Et de continuer d’inviter, comme dans Amoris Lætitia, « à essayer de discerner l’intelligence des situations ».

[1]  voir p. ex. Emilia Roblès, Experiencias latinoamericanas, in R. Alario, P. Collet, J. Mulrooney, Prêtres dans des communautés adultes, 2015, p. 233-248.

[2]  citée par Gino Hoel in "Hémorragie" : 3000 religieux et 650 prêtres partent chaque année, in Golias Hebdo n° 467, 9 février 2017. "Depuis 5 ans, cela s'aggrave d'année en année".  À lire sur  www.pretresmaries.eu/fr/Publications.html#551

[3]  Voir entre autres Golias Hebdo n° 470, 2 mars 2017.